Essai de philosophie

Seul celui qui accepte faire des essais pourra acceder à la connaissance véritable

Le pardon un acte de guérison et de libération pour un développement intégrale

Classé dans : Non classé — 7 août, 2012 @ 10:28

 

 

Jean-Baptiste TODJRO

Etudiant M. Afrique

 

 

Le pardon est la réponse à nos rêves d’enfance sur le miracle. C’est, ce à  travers quoi, ce qui est brisé est de nouveau mis ensemble et ce qui est souillé de nouveau purifié. Le rêve exprime ce pourquoi nous avons besoin d’être pardonnés et ce pourquoi nous devons pardonner.   

En présence de Dieu, rien ne peut tenir entre Lui et nous. Nous sommes totalement pardonnés, mais nous ne pouvons sentir sa présence s’il y a entre quelqu’un et nous une offense.

 

 

Le pardon est une porte ouverte vers la paix et le bonheur,  une porte petite, étroite, que l’on ne peut passer sans se baisser. Une porte difficile à trouver, qui cependant existe. Mais il est possible d’y arriver, même si l’on doit la chercher très longtemps. Par les expériences de personnes qui, malgré leurs souffrances, se sont efforcées de faire la paix avec leurs bourreaux ou non, nous voulons à travers Pourquoi pardonner ? montrer à la fois le pire et le meilleur dans l’homme.

La plupart des personnes, au cours de leur existence, ne seront jamais confrontéesà un meurtre, à un viol, ni encore, à ce que les philosophes appellent « crime contre l’essence de l’homme ». Cependant chaque personne, quel que soit son milieu, sa culture, sa vocation, son engagement,  est confrontée, chaque jour, au besoin de pardonner que ce soit à son partenaire, à son enfant,à ses parents,à son ami ou collègue, à son confrère, sa consœur…

Pour nous, il parait judicieux, après avoir présenté le pardon comme un moyen efficace devant conduire à la réconciliation et au rétablissement de l’équilibre social, de nous interroger sur  le pourquoi du pardon et ce qui rend difficile, voire impossible le pardon dans les relations humaines.

Il nous semble intéressant de commencer ce travail  par deux témoignages qui nous permettent de saisir ce qu’est le pardon et ses effets sur et dans notre vie.

Témoignage 1

Lors d’une séance d’intercession, nos frères ont accueilli une dame. Elle souffraitdepuis plusieurs années d’une forte fièvre. Pendant que ceux-ci, après l’avoir écoutée, se préparaient à prier pour elle, l’un d’eux lui posa cette question : « Où est ton mari ? » A ces mots, la dame s’effondra et se mit à pleurer pendant des heures et des heures. Quand elle eut fini de pleurer, l’on réitéra la question, et après un long silence, elle dit  « cet homme-là, je ne veux pas entendre parler de lui. »L’homme dont elle parlait, son mari était mort depuis plus de cinq ans. Le frère lui dit : « Comme tu as accepté Jésus comme maître et Seigneur de ta vie, pardonne à ton mari, c’est l’unique façon de retrouver la santé et la paix ». Les frères disent n’avoir pas prié pour cette femme et que seuls, sa décision de pardonner et le pardon accordé à son mari a été source de sa guérison.

 

Témoignage 2  

Il s’agit ici d’une amie qui perd souvent connaissance et passe beaucoup de temps à l’hôpital. Elle souffrait d’un manque d’amour parental. Ces parents l’avaient abandonnée toute petite. Elle avait été élevée par ses grands-parents. Pour ses parents, elle était le fruit d’un accident et elle représentait ce pourquoi le papa n’avait pas abouti au sacerdoce et pour la maman, l’obstacle à une vie digne de ce nom. Suite à des crises répétitives, la jeune fille fut recommandée à un psychologue, ensuite à un prêtre. Mais son mal persiste. Car elle croît être à l’origine du malheur de ses parents. Elle n’arrive pas non plus à comprendre comment une mère peut abandonner sa fille. Sa douleur est d’autant plus grande que ceux qui l’ont abandonnée ne vivent pas loin d’elle et leur découverte l’a d’avantage conduite à se renfermer sur elle-même.

Son mal trouve son origine dans son refus de pardonner et de se réconcilier avec ses parents depuis qu’elle les aretrouvés et dans les souffrances et moqueries qu’elle a subies durant son jeune âge.

De ces  deux expériences, il nous paraît que le pardon est un lieu de rencontre, un lieu où on se libère en libérant l’autre ou un lieu où l’on peut s’enfermer, soit seul, soit avec d’autres.

Du premier témoignage, on déduit que le pardon est une source de guérison et de libération et par le second, on  découvre que le refus de pardonner peut être source de maladie. Vu le refus manifesté dans notre second témoignage, une question s’impose : est-il envisageable ou encore possible, dans certains milieux, d’évoquer de nos jours le pardon sans paraître ridicule et sans surprendre autrui ? À moins d’être suspecté de tenir un discours religieux dont les termes Amour, Miséricorde, Compassion… et leurs logiques sont déjà connues.

Il est en effet difficile de nier le bien-fondé du pardon ou son importance dans la vie quotidienne. Cependant, l’essentiel pour nous n’est pas d’être d’accord sur les termes de façon théorique, mais plutôt de faire l’expérience d’un pardon véritable pour découvrir sa grandeur et sa force.Car c’est une chose est d’élaborer des théorieset qu’elles soient approuvées, mais cela en est une autre de faire l’expérience de ce que nous théorisons. Parler du pardon comme d’un acte de libération et de guérison implique la question : quelle est la place du pardon dans la complexité des relations humaines ?

Nous sommes inexorablement enfermés dans le cycle de la violence et cela semble naturel. Notre époque elle-même présente des contrastes aberrants. Pendant que des efforts pour la construction et le maintien de la paix sont entrepris, la technique et les sciences produisent des possibilités immenses de destruction. Pendant que l’on poursuit des personnes pour vente illicite d’armes, les usines d’armement à diverses échelles se multiplient etinnovent sans cesse. Sur le plan scientifique et même social, nous sommes fiers des progrès obtenus, cependant l’aspect éthique nous interroge et laisse une inquiétude dans nos cœurs. Cette inquiétude devient de plus en plus grave, car elle mine les relations humaines et crée un sentiment de méfiance entre les hommes.

Nous nous proposons à travers ce travail d’exposer une autre réponse au mal et aux violences perpétrés contre nous. Soulignons dès le départ qu’il s’agira dans les lignes qui suivent d’un exposé des témoignages de vie personnelle, d’amis, de séances de prière et autres…

 

I-            Le pardon et ses effets

         I-1 Qu’entendons-nous par « pardon » ?

Avant de nous lancer dans quelques considérations que ce soit, il convient de rappeler brièvement l’origine et l’étymologie du mot « Pardon ou pardonner ».  Pardonner est composé à partir du mot latin donare (donner). Perdonerapparait vers 980 dans l’expression perdoner la vida[1]. Pardonerest utilisé vers 1050 et donne vers 1135 le substantif verbal pardon. L’analyse étymologique du mot permet de ressortir l’idée du don. Ainsi le préfixe par nous conduit à déduire que pardon signifie un acte au-delà du simple don. Se fiant au sens général du pardon que l’on s’accorde à définir comme  remettre, gracier, absoudre, il en résulte que le pardon suppose ainsi un investissement et un engagement personnels qui définissent la relation que nous entendons entretenir avec notre offenseur. Dans ce sens pardonner ou non  détermine la confiance ou non accordéeà notre offenseur.

I-1-1. Une rupture avec la violence

Le pardon est une réponse inattendue au mal commis. La réaction légitime et qui semble naturelle devant une violence, un mal ou encore un tort, c’est la violence. Cette dernière est inscrite dans l’histoire de nos sociétés et dans notre existence personnelle. Elle marque l’existence individuelle et aussi collective. Une violence mal gérée peut devenir source de plusieurs difficultés et même de maladie. Un jour, des amis et des frères étaient allés saluer un autre frère à l’hôpital à cause de la fille malade de ce dernier. A la fin de leur visite, ils se mirent d’accord pour prier avec la famille. La fille malade était sous perfusion et avait toujours une température de 39-40°C, malgré tous les soins qui lui était apportés. L’infirmière qui s’occupait d’elle, après cette séance de prière, a pris à part les parents de la fille pour leur dire : « Pour le bien de votre fille, alléz régler votre problème s’il y en a, puis revenez ». A ces mots, l’homme s’écria : « nous n’avons aucun problème à régler ». L’infirmière reprit avant de les quitter : « Je n’ai pas dit que vous aviez un problème, cependant concertez-vous ». Une fois parti, l’homme se tourna vers sa femme et lui dit : « Si c’est à cause de cette histoire de trop de sel dans la sauce, c’est fini ». Et à la femme de répondre : « Es-tu sûr que ce soit vraiment fini et que maintenant nous partagerons le même repas ?»A la réponse positive de l’homme, ils s’embrassèrent et revinrent tout joyeux dans la salle d’hospitalisation. Le même soir, la température de leur fille tomba et elle put quitter l’hôpital.

Une simple histoire de mets à conduit à une rancune terrible entre parents, cette rancune a brisé l’harmonie de la famille. La fille souffrait de la violence et de la guerre silencieuse que menaient ses parents. Voilà comment nos rancunes, les petites tensions non résolues peuvent briser notre équilibre familial. Comme le dira Saint Paul : « Que la nuit ne tombe point sur vos problèmes journaliers sans les avoir résolus. » Cependant la résolution de nos tensions requiert de notre part une attitude d’humilité pour nous engager dans une démarche de pardon. Cette démarche de pardon est fondée sur la compassion, la miséricorde et enfin l’amour. C’est dans cette optique que Jacques Marin publiera : Aimer c’est pardonner ; l’appel au mariage solide, mystique et réaliste[2]

I-1-2. Le pardon comme secret de l’équilibre humain

Plusieurs personnes, familles, groupes, collectivités, ne comprennent pas pourquoi elles connaissent tant d’échecs dans leurs relations, dans leur vie de couple, dans leurs rapports sociaux. Posez-vous cette question : Quelle est la place que j’accorde au pardon dans toutes mes relations ? Comment est-ce que je gère les blessures qui me sont infligées ou que j’inflige aux autres ? L’amour a-t-il une place dans mon cœur ou suis-je rempli de haine ?

I-1-3. Le pardon est un acte d’amour

Le pardon ne s’impose pas. Le pardon est un acte d’amour : « par don », un don de soi pour une nouvelle relation. La personne qui pardonne doit demeurer libre de son choix. Obliger quelqu’un à nous pardonner, c’est lui dire : « je veux que tu m’aimes malgré les méchancetés que je t’ai faites« . On peut le souhaiter, mais on ne peut contraindre l’autre à le faire. Sinon ce n’est plus un pardon. On peut commander à quelqu’un des gestes extérieurs, mais on ne peut pas commander l’attitude intérieure. On peut juste l’inspirer par son exemple, on peut l’en prier (je te demande pardon), mais on ne peut pas l’exiger.

Je me souviens encore quand nous étions encore enfants, quand on se bagarrait ; la première personne âgée qui nous séparait avant de nous laisser partir nous invitait à nous tendre la main ou à nous embrasser pour conclure cette bagarre. Aujourd’hui je me rends compte de la portée de leur acte. Mais une question me tourmente et je pense à tous ceux qui ont vécu ces moments. Etaient-ce à eux de le faire ? N’étaient-ce pas une façon de nous imposer le pardon et plus encore la réconciliation ? Certes, ces aînés avaient un devoir à accomplir à notre égard,mais nous, qu’avons-nous appris ? Était-ce la meilleure façon de le faire ? Aujourd’hui j’oserai répondre non. Les gestes que nous faisions durant ces instants n’étaient pas libres et n’étaient pas des décisions personnelles pour mieux bâtir l’avenir. Nous ne remettons pas en question l’acte de nos ainés, mais leur action ne créait pas en nous le sentiment d’aimer l’autre, de le percevoir comme un frère, avec qui nous sommes invités à vivre ensemble malgré nos différends et nos points d’achoppement.

Nous allons analyser ici une expression du pater (le « Notre Père »). « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés »  Quand le Christ nous demande de nous pardonner les uns aux autres, c’est une invitation et non un ordre. C’est comme s’il disait que le pardon est la voie qui mène au Père. Il nous invite à l’imiter, par amour. « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » signifie: « Apprends-nous à pardonner comme toi tu pardonnes ». Plusieurs chrétiens qui récitent le Notre Père ont l’impression que s’ils pardonnent, Dieu va leur pardonner, alors que c’est l’inverse. L’amour de Dieu est premier et comme « aimer » signifie « pardonner », alors le pardon de Dieu est premier. Ainsicelui qui a connu le pardon de Dieu pour lui, sait pardonner aux autres et reconnait la force créatrice et libératrice qu’est le pardon.

Questionnaire d’analyse de sa vie et de ses relations

Ce questionnaire n’est pas en soi un test, pour savoir si nous pardonnons chaque jour. Cependant, il nous permet de savoir combien de fois nous optons pour la violence et combien de fois nous nous refusons la vie et empêchons aussi les autres de vivre.

Avant d’exposer ces questionnaires, regardons de près comment un enfant fut éduqué.  Tout petit,  nous a-t-il expliqué, quand à l’école, il y avait une bagarre, il se tenait à l’écart. Il s’intéressait peu aux autres. Un fois après les classes, il fut traité d’enfant gâté. Par respect pour ces principes, il essaya de se retirer de la dispute quand une troupe de garçons l’encercla et le battit. Tout en pleurs, il rentra chez lui. Une fois à la maison, son père le battit presque à mort car il n’avait pas su se battre. Imaginez-vous une seconde la réaction de cet enfant alors encore au cours primaire première année ! Le papa venait de réveiller en cet enfant un sentiment de vengeance. Trois jours plus tard, le garçon prit à part un des enfants du groupe qui l’avait battu et lui rendit coup pour coup et fit de même avec les autres. Il les frappa de telle sorte que plusieurs d’entre eux étaient méconnaissables.

1-   Quelle éducation donnons-nous à nos enfants ? Comme ce père, enseignons-nous la violence ou la  non-violence à nos enfants ?

Il convient de souligner à partir de ces lignes que si nous voulons chasser la violence et le cycle infernal de la vengeance de nos maisons, de nos quartiers, de nos villes et de nos pays, nous devons dans un premier temps repenser l’éducation que nous avons reçue et celle que nous donnons à nos enfants.

2-   Quelle est la place du pardon dans nos relations ? Sommes-nous toujours orientés vers le désir de vengeance ? Arrivons-nous à canaliser notre colère ?

Je vous propose ici de contempler l’attitude de deux personnes dans l’Evangile selon Saint Luc[3], il s’agit de la parabole de l’enfant perdu, oude l’enfant prodige, ou encore du père aimant.

Le texte nous dit qu’un homme avait deux fils, le plus jeune demanda à son père sa part d’héritage. Ce fut fait, il vendit tout et partità l’aventure. Il dilapida l’argent à droite et à gauche. Une fois l’argent dépensé, une grande famine s’installa dans la région. Il n’avait plus de quoi manger. Il décida alors de se faire embaucher pour gagner son pain quotidien pour ne pas mourir car personne ne lui donnait rien à manger. Vue sa situation, il voulut même se régaler de la nourriture des porcs, mais personne ne le lui en donna. Alors, il se dit : « Tant d’ouvriers dans la maison de mon père mangent à leur faim et moi ici je meurs de fin. J’irai chez mon père et je lui dirai : « j’ai péché contre le ciel et contre toi ; je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ».

Pendant qu’il était en chemin et qu’il préparait son discours, son père l’aperçut et courut à sa rencontre. Il dit au serviteur d’apporter les plus beauxhabits et de l’en vêtir. Il ajouta : « Mettez-lui un anneau au doigt et tuez le veau gras et festoyons, car mon fils que voici était mort et il revenu à la vie ».

3-   Demandons-nous pardon aux autres quand nous reconnaissons notre tort, le mal que nous avons commis ? Ou nous nous enfermons dans notre moi en disant : lui demander pardon, c’est m’humilier devant lui. C’est me montrer faible, impuissant et lui donner un impact sur ma vie » ?

4-   Quand nous demandons pardon, est-ce du fond du cœur ou pour paraître aux yeux des autres comme un repenti pendant que notre cœur est loin des mots qui sortent de notre bouche ?

5-   Quand on nous demande pardon, quelle attitude adoptons-nous ?Adoptons-nous une attitude supérieure ou nous laissons-nousinterpeler par la démarche de l’offenseur ?

6-   Sommes-nous ouverts au pardon ou sommes-nous enfermés dans nos blessures, dans notre douleur et notre souffrance ?

Aucune relation humaine n’est exempte d’un mal ou d’une faute commise. L’expérience du mal perpétré et le désir de l’homme à vivre heureux, puis de répondre à sa vocation de bonheur, tout cela nous pousse à donner une réponse différente au mal que nous avons subi au lieu de nous laisser entrainer par le cycle de la vengeance qui semble naturel. Il n’y a pas de pardon véritable s’il n’y a pas de désir de vengeance sous quelque forme que ce soit.

L’attitude de père du récit de l’enfant prodige nous montre qu’il avait déjà pardonné à son fils. Il court pour aller à sa rencontre. Ce qui semble contradictoire et cependant il le fait. Il demande qu’on habille son fils.

-      Il dit mettez-lui des sandales aux pieds

-      Un anneau au doigt

-      Revêtez-le des plus beaux vêtements

-      Festoyons.

Ceci témoigne de l’amour que le père porte à son fils, il n’a pas attendu que son fils vienne lui demander pardon. Tout son beau discours, l’enfant n’a pas pu le prononcer car le père était trop heureux de le revoir. Certains spécialistes présentent le père comme quelqu’un qui chaque jour se mettait à la porte de sa maison pour guetter le retour de son fils et  d’autres prétendent qu’il interrogeait même les passants. Il leur demandait s’ilsn’avaient pas rencontré son fils ? Oui, le pardon est semblable à un amoureux qui parcourt toute la cité et interroge même les habitants ; il fouille les maisons et les champs, les coins et les recoins, espérant trouver celle que son cœur a élue.

Dans un petit village un couple s’était disputé à cause de l’adultère du mari et s’était séparé. Pendant des mois, chacun souffrit dans son coin et personne n’osait faire le premier pas pour se réconcilier car chacun avait peur d’être rejeté. Un jour, le mari décida d’envoyer une lettre à sa femme. Il y avait cette phrase : Si tu continues de m’aimer et si tu as pardonné ma faute, s’il te plait lundi soir, accroche un foulard blanc à l’un des arbres bordant le chemin reliant notre cour à la route principale. Alors je saurai que tu m’as pardonné.Dès le dimanche, la dame avait décoré tous les arbres en y mettant plusieurs foulards blancs et d’autres lumières. Le mari,craignant toujours de ne pas être pardonné demanda à un de ses amis de le prendre dans sa voiture et de passer devant leur maison, avec lui caché sur le siège arrière. Une fois devant la maison, il demanda à son ami : y-a-t-il un foulard accroché sur arbre ? À son ami de répondre :« non, mais des foulards blancs accrochés partout dans le sentier ! »  Surpris, l’homme fit arrêter la voiture et courut retrouver sa femme.

Oui, parfois le pardon demande qu’on ose vivre, qu’on ose faire le premier pas. Mais pour ce faire, il faut de prime abordque l’offenseur reconnaisse avoir mal agi et que celui qui pardonne puisse dire qu’il a été blessé.

 

I-1-2. Le pardon : une exigence nouvelle pour des relations vraies, simples et viables

Le pardon appelle la vie et la confiance. La confiance est l’élément indispensable à toute relation amicale, familiale etc. Il est difficile de faire confiance à une personne dès les premiers instants d’une relation. Cependant quand cette confiance s’installe, l’homme est libéré de sa crainte et de sa méfiance. Cette confiance, pour s’installer, peut prendre des années. Le grand problème s’installe quand cette confiance est trahie. Nous pouvons pardonner facilement à quelqu’un que nous connaissons à peine. Cependant quand il s’agit de quelqu’un en qui nous avions confiance, le pardon devient difficile. Pourquoi cela ? Simplement parce qu’accorder sa confiance à quelqu’un, c’est lui confier toute sa vie. Devant lui, nous sommes sans défense et fragiles. Toutes nos défenses sont brisées. Comment dans une telle situation devons-nous réagir ? Devons-nous à tout jamais rompre avec ce dernier ? Supposons que ce soit votre femme, votre enfant, un frère ou une sœur, un confrère ou une consœur, un associé, un confident etc.

Regardons de près ce qui peut arriver parfois dans une famille à travers  cette histoire. Un homme avait un enfant qu’il aimait beaucoup. Cet enfant en toute chose était obéissant à son père jusqu’à ce qu’il fasse une expérience religieuse qui l’avait beaucoup marqué. Depuis ce jour, sur certains domaines de la vie, il ne partageait plus les mêmes points de vue que son père. Un soir, pendant qu’il préparait son examen, l’enfant eut une forte douleur à la tête et se mit à trembler ; de plus il ne pouvait plus se tenir debout. Le père dit : J’en ai assez de ces douleurs et de l’achat des produits, il faut trouver l’origine mystique de ces douleurs incessantes. On était autour de 20 heures, le papa s’en alla et revint avec un marabout. Contre toute attente, l’enfant refusa de suivre ce que le papa proposait. Dans un mouvement de colère et devant sa maman et quelques autres personnes de la maison, le papa se mit à gifler l’enfant. Il lui dit : soit tu suis ce que je te dis, sois tu sors de ma maison et tu n’es plus mon fils. Tu es banni de cette maison. Confiant en sa foi et en ces convictions, l’enfant se retira. Pour lui, tout son univers venait de s’écrouler.Cette nuit-là, il fut comme une brebis égarée. Parti sans argent car il n’avait pas la possibilité de rentrer dans sa chambre, il marcha durant toute la nuit, allant de la maison à l’église la plus proche, de l’église à la gare car il cherchait à aller loin avant de se rendre compte qu’il n’avait même pas les moyens de se rendre même à 100 kilomètres de ses parents. Il se mit à marcher toute la nuit. Au petit matin il se retrouva à l’entrée de la maison de ses grands-parents. Il s’y reposa et n’alla point à l’école ce jour-là. Il chercha même à se suicider. Au cours de cette tentative, un chant qu’il utilisait pendant ses prièreslui revint et le chant disait : il n’a pas dit que tu coulerais, il n’a pas dit que tu sombrerais, il a dit allons sur l’autre rive. Si le vent souffle fort, si la barque t’entraine n’aie pas peur de la mort ; si la barque t’entraine, crois en Jésus il t’aime. Alors, le jeune sentitun appel à mourir à l’amour de ses parents pour renaitre à l’amour de Jésus et de Dieu. Qu’est-ce que cela implique ?

Renaitre à l’amour de Dieu revenait à associer sa douleur à celui du Christ et à crier vers Dieu en toute confiance afin d’implorer sa miséricordepour avoir la force de pardonner. Le pardon est une force et une décision personnelles. Personne ne peut nous l’imposer, mais on peut juste nous l’indiquer et le reste du chemin est à nous. Ce jeune avait trouvé son inspiration et son chemin dans la parole de Jésus : Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. Ces paroles furent prononcées pendant que Jésus agonisait sur la croix.

Après s’écoula toute une journée que le jeune passa sans rien manger, assis et méditant sur sa vie et se demandant s’il fallait repartir dans sa famille. Le soir tombé pendant que toute la famille le cherchait, il entra discrètement dans la maison et s’installa dans sa chambre dans l’obscurité. Ce fut véritablement un passage du chaos au cosmos durant ces deux jours. Le troisième jour avant de partir pour l’école, il fit un geste de réconciliation. Il alla saluer sa mère toute inquiète,puis son papa sans rien ajouter, puis il s’en alla à l’école. Durant des jours, il ne mangea plus à la maison, mais il y couchait. Ce fut pénible de rétablir la confiance, mais il avait pardonné à son papa, non parce que celui-ci avait demandé pardon, mais à cause de quelqu’un qui avait souffert avant lui, et qui devant la mort certaine et malgré le rejet des autres a pardonné de tout cœur et sans poser aucune condition. Le pardon tout comme l’amour ne pose pas de question pour aimer ou pardonner.

 

I-1-3. Aimer sans condition

Comme le souligne l’ouvrage de Jacques Marin, aimer c’est pardonner.Ainsi pardonner, c’est s’ouvrir et ouvrir aux autres la porte du bonheur, première vocation de tout homme. Or la violence, comme un ver, dégrade les relations humaines. Elle crée des tensions, détruit la confiance. Elle sème en l’homme consciemment ou non un sentiment de rejet, de manque de compassion, de médisance, d’accusation. Ces sentiments portent un coup dur à l’équilibre personnel et social.

L’amour est semblable à une bougie qui éclaire quand elle se consume, quand sa flamme toute brûlante la transforme en lumière. Et le pardon, comme un tout petit grain de sel, qui ne peut donner son goût aux aliments s’il ne se dissout pas et ne disparait pour exister tout autrement. Cette bougie et ce sel qui se livrent entièrement, l’un pour éclairer et l’autre pour donner du goût, c’est comme quelqu’unqui ne peut aimer vraiment, tant qu’il ne se donne pas entièrement, s’il n’accepte pas de se sacrifier,  de se livrer sans rien garder. L’amour se donne, l’amour pardonne, l’amour n’est pas facile, l’amour transforme, l’amour rayonne, l’amour n’a qu’une mesure : se donner sans rien garder pour soi.

L’amour est plus fort que la haine, il est créateur d’avenir, il est sans malice, ne garde pas rancune.         Aime et tu comprendras, aime et tu transformeras le monde ; aime ! Dieu t’a aimé le premier.

Le pardon est plus fort que la vengeance, il est un baume qui guérit les cœurs, il libère le coupable et lui redonne confiance ; pardonne et tu comprendras, pardonne et tu transformeras le monde                           pardonne ! Dieu t’as pardonné le premier.

II-          Quelques effets du non-pardon

Si nous ne pardonnons pas, quelles possibilités s’offrent-elles à nous ?

II-1 La vengeance

Elle nait d’un sentiment de colère, et constitue la première possibilité de répondre à un mal commis à notre égard. La vengeance est quelque chose de très naturel car elle traduit notre désir de justice.Pour répondre à ce désir de justice, pour que notre sentiment de vengeance ne soit pas exagéré et pour qu’il y ait une modération dans la vengeance, les juifs ont inventé la loi du talion : œil pour œil, dent pour dent. Si tu me crèves un œil, je vais devoir te crever un œil, mais je n’irai pas plus loin. C’est la loi des équivalences pour ne pas aller dans l’exagération de la vengeance.

Le danger de la vengeance, c’est la spirale de violence qu’elle engendre.
Certaines personnes se disent :  » je ne me vengerai pas, mais je n’oublierai jamais ! ». Ces dernièresdéveloppent une sorte de ressentiment. Elles se rappellent l’offense et elles sentent toute l’agressivité qu’elles ont dans leur intérieur. Certains peuvent entretenir une rancune pendant plusieurs années. Mais sous couvert d’être plus acceptable, cette attitude n’est qu’un autre type de vengeance : une vengeance passive, dont on parle peu. Souvent en effet, quand on parle de vengeance, on pense à quelque chose d’actif : faire mal à l’autre. Mais arrêter de faire en sorte que les autres soient heureux, arrêter de créer de la vie, c’est une manière de se venger des autres.

II-2 Le stress continuel

Si l’on ne pardonne pas et si l’on maintient en soi un ressentiment, on vit dans un stress continuel. Le ressentiment, c’est le pire sentiment que vous puissiez vivre. Il peut être à l’origine de plusieurs maladies comme l’hypertension, l’arthrite et même certains cancers. C’est tellement vrai qu’il y a une clinique de cancérologie aux Etats-Unis où les médecins se sont aperçus que les traitements de chimiothérapie ne marchaient pas, parce que les malades concernés avaient de la rancœur. Donc, avant de faire la chimiothérapie, ils demandèrent aux malades de pardonner. Et la thérapie marchait mieux chez ceux qui acceptaient !
II-3 Des dépressions

Beaucoup de dépressions viennent aussi de l’amertume. La blessure a été enfouie ; on croit être passé par-dessus. Mais on a un mal de vivre dont on ne connaît pas la cause. On ne sait plus vivre le présent et l’on n’a plus de projets d’avenir. En réalité, ce qui ne va pas, c’est notre blessure non guérie : inconsciemment, notre perception du monde passe toujours par cette blessure.

Les professionnels qui travaillent sur le pardon se sont aperçus que les personnes blessées qui n’ont pu pardonner sont parfois des personnes « fragmentées ». Qu’est-ce que ça signifie ? Lorsque quelqu’un agresse de façon violente une autre personne, cette dernière a très peur (comme dans un viol par exemple). À ce moment-là, il peut se produire un phénomène très curieux qu’on appelle l’identification à l’agresseur. Par ce qui semble être une tentative de survie, lorsqu’une personne a été blessée profondément, elle peut en arriver à s’identifier à l’agresseur. C’est comme s’il « entrait » en elle en quelque sorte. La personne se sent contaminée par l’agresseur, se perçoit comme lui (sale, violent, méprisable…). Elle devient double, victime et bourreau et continue de s’agresser intérieurement. Lorsqu’elle est fatiguée de s’agresser, elle peut devenir à son tour agresseur d’autres. On a remarqué que les personnes qui violent ou battent des jeunes ont souvent été abusées, elles aussi, dans leur enfance, et elles vont faire sur d’autres ce qu’on leur a fait.

Tout cela (vengeance, ressentiment, dépression…) arrive lorsqu’on ne fait pas face à notre blessure et qu’on ne la traite pas par le baume du pardon. Mais ce sont des impasses, pas des passages obligés ! Le travail qu’on a à faire,c’est d’aller chercher l’agression enfouie en nous, pour la guérir et la transformer. Que vis-tu ? Es-tu heureux, heureuse ? Comment va ton travail ? Quel climat règne dans ta famille, ton couple ?

 

III-        La démarche à faire pour pardonner

Si nous acceptons que pardonner, c’est renoncer à tirer vengeance, voici quelques étapes qui décrivent la démarche à adopter pour pardonner véritablement. Toute personne qui le désire peut pardonner, cependant pour le croyant, le pardon comporte deux dimensions : une partie humaine et un don de Dieu. Quels que soient nos efforts humains, il va arriver un moment dans la démarche de pardon, où le pardon va nous venir de Dieu. C’est particulièrement vrai pour les blessures graves et profondes. On a besoin de Dieu. Dieu est toujours prêt à nous pardonner et toujours prêt à nous donner son amour inconditionnel. La difficulté ne vient pas de Dieu, mais elle vient de notre part, de notre incapacité à nous laisser aimer. Comment va-t-on ouvrir notre cœur pour recevoir le pardon de Dieu ? Les textes bibliques disent de Dieu qu’il est à la porte de notre cœur et qu’il frappe. Celui qui l’entend et lui ouvre, Dieu viendra établir sa demeure chez lui. Si nous sommes emplis de Dieu, son amour nous accordera la force pour prendre la décision de nous engager sur le chemin du pardon.

 I-1. Première étape : prendre la bonne décision.

Le chemin pour pardonner ne provient de nulle part, sinon d’une décision personnelle à s’ouvrir à la plénitude de la vie. Le pardon ne viendra pasde lui-même. Il faut à un moment décider de ne pas se laisser aller à la vengeance pour régler des situations difficiles et inattendues, telles qu’une situation d’injures, de blessures, de trahison. C’est très important que cette décision soit prise avant que toute offense n’arrive. Lorsque le mal arrive, si cette décision n’a été pas prise, vous allez penser immédiatement à vous venger et vous allez passer à l’acte.

Il est aussi très important d’essayer de faire cesser l’offense. Le pardon est difficile et ne tient pas longtemps tant qu’une personne perpétue son offense sur nous. Il faut également décider de discuter avec cette personne pour lui demander de cesser de nous blesser. Cela demande du courage. Souvent certains cachent leur manque de courage derrière la belle façade d’un pardon donné gratuitement. Mais la vérité est que la plupart des gens ne peuvent réellement pardonner dans les conditions d’une offense continuelle. Ils étouffent leurs sentiments parce que c’ est plus confortable. Faire savoir qu’on est blessé ne veut pas dire se mettre en colère contre l’autre. Certes, la colère est une expression naturelle, mais il faut avoir le courage d’indiquer ce qui nous a fait mal.

III-2. Deuxième étape : reconnaître qu’on a été blessé.

Lorsqu’on a souffert d’une injustice, d’une trahison, lorsqu’on a été insulté, on a parfois tendance à vouloir tout d’abord excuser l’autre, à vouloir oublier ou minimiser la faute. Parfois, c’est même l’offensé qui se sent coupable. Il faut redresser cette situation-là et rentrer en contact avec sa blessure intérieure. Ce n’est pas facile. Je me souviens que lors d’une session de formation sur l’accompagnement de malades, un ami me dit lors des échanges en classe : « J-B, tu te fais trop passer pour le connaisseur et c’est l’unique défaut que je te trouve ». Beaucoup s’attendaient à une réplique, mais non je ne sortis aucun mot. Est-ce parce que j’avais accueilli cela positivement ? Faux, j’ai déclenché un mécanisme d’auto-défense en me disantqu’ il ne s’agissait pas de moi. Nous avons des mécanismes de défense qui nous empêchent de vouloir trop souffrir.

On a peur aussi de rencontrer notre colère. On fait toutes sortes de manœuvres pour ne pas entrer en contact avec nos émotions. On essaye d’excuser l’autre, on va lui pardonner rapidement, beaucoup trop rapidement. Beaucoup de gens pardonnent trop vite sans respecter ce qui se passe à l’intérieur d’eux-mêmes. Mais s’il n’y a pas une purgation des différentes émotions (douleur, tristesse, colère, frustration), on ne guérira pas. Pardonner demande du courage.

Reconnaître qu’on a été blessé veut aussi dire identifier ce qui a été touché en nous. Ce n’est pas jouer à la victime, ni  se lamenter sur soi-même d’une façon générale. C’est important de savoir exactement ce qu’on a perdu, par rapport à nous et également par rapport à l’autre. Dans tout pardon, il y a un « deuil » à faire par rapport aux attentes que l’on avait vis-à-vis de quelqu’un. Quand on peut ainsi repérer ce qui a été touché en nous (notre honnêteté, notre fidélité, notre compétence…), notre agressivité commence à fondre parce qu’on pensait auparavant que c’était toute notre personnalité qui avait été atteinte.

 

III-3. Troisième étape : dire sa souffrance.

Il faut extérioriser sa douleur pour pouvoir en faire quelque chose, la gérer, guérir. Ecrire dans un cahier, parler à quelqu’un de confiance nous libèrent de la douleur causée par la blessure. Un ami nous racontait son expérience avec le sacrement de la réconciliation. Il disait avoir plusieurs fois confessé cette offense, mais le poids de l’offense pesait toujours sur lui. Alors un jour, il alla voir le curé et eut un entretien avec lui ; après cela, le poids de l’offense avait disparu. Oui, certaines choses ont besoin d’être dites et d’être écoutées pour se libérer.  Attention, il ne s’agit pas de parler pour se venger, dire du mal de l’autre. On a décidé de ne pas se venger. Il s’agit de parler de sa souffrance et de décrire des faits, pas d’interpréter des intentions. Il faut aussi trouver une personne assez mûre pour écouter nos doléances sans que cette personne en vienne à mépriser celui qui nous a fait du mal, ni qu’elle aille répandre partout la nouvelle. De cette mauvaise tendance et de la mauvaise compréhension du processus de pardon naît notre solitude. Il y a des personnes qui meurent de ne pas pouvoir parler de leur souffrance, ne pas être capables de s’exprimer. Un jour dans une paroisse, une femme vint voir un prêtre pour un problème particulier. Elle souffrait des troubles mentaux et personne ne perdait son temps à l’écouter. Ce jour-là, le prêtre réunit toute son équipe. Avant que la femme n’entre, il demanda à tous d’ôter leur montre, puis il les collecta. Une fois entrée, la femme parla pendant des heures, elle eut suffisamment le temps de raconter ce qui la tourmentait. A la fin, elle soupira et s’endormit dans le bureau du prêtre. Elle avait parlé pendant presque sept heures sans être interrompue et ce fut pour elle une guérison. Nous devrions être capables d’offrir cette écoute compatissante aux autres. Parler à quelqu’un permet d’y voir clair en nous et d’identifier ce qui a été touché.

III-4. Quatrième étape : recevoir la guérison.

Le pardon total n’est pas possible si notre être intérieur n’a pas été guéri. La plupart du temps, parler à quelqu’un permet à la guérison de se faire en nous, avec le temps. Nous avons en nous une capacité intérieure réparatrice.

Pour le croyant, c’est là qu’intervient Dieu. Un ami, un psychothérapeute peuvent nous aider à cheminer vers cette 4ème étape, mais ils ne peuvent nous guérir.Quand la blessure est trop profonde ou très ancienne, le moi intérieur n’a plus la force de réparer les dégâts. On a en ce cas besoin de Dieu. Si vous êtes croyant, si vous croyez à l’Esprit de Jésus, vous allez être capable de demander à l’Esprit-Saint qui est en vous de vous guérir, de vous réunifier, de recoller les morceaux et d’estomper la douleur. C’est là une promesse de Jésus : « L’Esprit du Seigneur  est sur moi. Le Seigneur m’a oint pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux. Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé… » Luc 4,16-21.

 

III-5. Cinquième étape : s’ouvrir au pardon.

Une fois la guérison enclenchée, on peut dire : « mon cœur est ouvert pour recevoir le don du pardon ». En effet, on ne pardonne pas aux autres, on se laisse prendre par le pardon.Le pardon ne nous appartient pas. Le croire fait naître en nous un sentiment de supériorité. Le pardon n’est pas une vertu morale, c’est une vertu théologale. Cela veut dire que c’est Dieu qui nous l’inspire, c’est Dieu qui en est l’agent et c’est Dieu qui en est l’objet. C’est pour cela que lorsque l’on entre dans une dynamique de pardon, on met sa volonté dans les premières étapes, mais une fois rendu à cette étape finale, il s’agit de devenir accueillant, réceptif à l’amour de Dieu. Cela veut-il dire que si je ne suis pas chrétien, je ne suis pas capable du vrai pardon ? Non. La grâce de Dieu n’est pas limitée au christianisme. La grâce de Dieu vient sur toute personne bonne dont le cœur est ouvert. Ce qui est important, c’est de savoir qu’on ne donne pas le pardon, mais qu’on le reçoit.

Le vrai moteur pour lepardon, c’est de se savoir aimé profondément, inconditionnellement de Dieu.Si vous vous sentez aimé(e) profondément, vous allez être capable de pardonner. Quelqu’un qui ne se sent pas aimé, peut-il aimer pleinement les autres ? Si vous avez l’impression qu’on ne vous a rien pardonné dans votre vie, allez-vous être capable de pardonner à d’autres ? En même temps, il n’y a rien de plus difficile que de recevoir quelque chose d’une manière gratuite. On a toujours l’arrière-pensée qu’il y aura quelque chose à payer. Quand vous entrez dans le monde du pardon, vous entrez dans un monde d’abondance, de générosité, de la gratuité, la générosité gratuite de Dieu. Il n’y a pas de rationalité possible là-dedans.

 

III-6. Après le pardon : que faire de la relation avec l’offenseur ?

On a le choix. Est-ce que je me réconcilie avec la personne ou pas ? Si on se réconcilie avec la personne, la relation ne peut plus demeurer comme avant. Lorsqu’il y a eu une blessure entre deux personnes, le seul chemin positif, c’est l’approfondissement de l’amour entre ces deux personnes, décidé d’un commun accord. Quand on peut souffrir ensemble et accepter cette souffrance-là, il y a une sorte d’approfondissement. Un amour qui n’a pas souffert est un amour qui manque de profondeur. On le voit chez les couples. Toutefois, dans certaines situations, il vaut mieux qu’il n’y ait pas de réconciliation physique, si la personne n’a pas changé par exemple, si elle peut nous agresser, nous faire du mal.

IV-        Quelques dimensions du pardon

IV-1. Dimension anthropologique du pardon

Nous abordons ici le pardon au sens large, c’est-à-dire concernant l’homme en tant que tel, croyant ou non. Nous laissons de côté, en attendant, la dimension religieuse, les préceptes évangéliques et/ou l’exigence de la charité, pour ne voir que la fonction du pardon dans les relations sociales.

Pardonner suppose toujours qu’il existe une relation. Le pardon nous met en face de quelqu’un, l’importance du pardon se mesure à l’intensité de notre relation. Nous sommes beaucoup plus touchés par l’offense causée par un ami que par un inconnu.  (Exemple : conflits dans les familles.) Si la vie se structure par les relations, le pardon en est la plus grande épreuve, il prouve la solidité de la relation et par conséquent, la qualité de la vie.

Quand il s’agit d’une personne avec qui nous n’avons pas de relation personnelle, notre jugement est basé sur la loi, les coutumes, ou les traditions. Cependant quand il s’agit d’une personne que nous aimons, notre jugement est basé surtout sur les sentiments subjectifs. Dans la vie conjugale,  un acte grave ne brise pas forcément la relation, si la tendresse parle ensuite plus fort que la méchanceté et la souffrance. Par contre, une série d’actes peu graves en eux-mêmes peut lentement ronger l’amour et créer une situation irréparable. Le pardon implique une relation de dépendance : celui qui désire être pardonné dépend donc socialement des autres. Celui qui pardonne est reconnu supérieur.

 

IV-2. Dimension psychologique du pardon :

L’aptitude à pardonner à autrui ou à soi-même est une marque de maturité. Elle présente un progrès considérable par rapport au désir plus primitif de vengeance. Les racines du désir de vengeance aussi bien que la capacité à pardonner se trouvent dans l’expérience de la petite enfance. La vie de tout petit enfant est pleine de satisfactions et de frustrations. L’enfant normal réagit aux frustrations par un désir de représailles. On dit alors que l’enfant est « méchant ». Mais la faculté de sensibilité à autrui a ses racines dans l’enfance et, dans une personnalité parvenue à maturité, elle représente une transformation de son narcissisme en un sens socialement profitable. Une sagesse  bouddhiste dit ce qui suit :« Si vous êtes bon, vous ne devez pas être touché par la méchanceté, et si vous êtes touché, vous n’êtes pas aussi bon que vous le croyez ».  La blessure révèle votre propre défaut que vous ne pouvez supporter.

IV-3. Dimension religieuse

Le pardon humain est à la fois une conséquence… et une condition du pardon de Dieu. Il est la dimension essentielle de l’existence humaine. Il est le « pain de vie » qui entretient notre existence. Soulignons que seul, celui qui a fait l’expérience du pardon peut vraiment pardonner ; tout comme peut seul aimer vraiment celui qui a fait l’expérience de l’amour. « Celui qui ne pardonne pas à son frère n’a pas reconnu le pardon que Dieu lui donne ». Le Pardon est le Don par excellence, qui nous rend à « la ressemblance de Dieu ». La route de la divinisation : La finalité de la vie spirituelle est notre participation à la vie divine. C’est ce que les Pères de l’Eglise appelaient la « divinisation ». Grégoire de Naziance (Capadoce 330) écrit : « Dieu s’est fait homme afin que l’homme devienne Dieu ». La divinisation se réalise lorsque s’introduit en nous la charité divine jusqu’au pardon des ennemis, comme le Christ en croix. Quand est-ce que tu deviens Dieu ? Quand tu seras capable, comme le Christ en croix de dire « Père, pardonne-leur » ; plus encore « Père, pour eux, je donne ma vie ».

Pardonner, dans le sens de ne plus tenir rigueur à autrui de sa faute, ce n’est qu’un début. Pardonner dans le sens de se réconcilier est un deuxième degré. Le degré le plus haut est le Pardon de Dieu manifesté en Jésus « Sang versé pour une nouvelle Alliance ».Le pardon est le signe d’un amour authentique.Un amour qui pardonne, qui réconcilie, qui donne une nouvelle vie : la nouvelle création. La croix de Jésus est signe de la vie donnée et symbolise la rencontre dans la culture universelle.

Conclusion : Pourquoi pardonner ?

Au terme de ce parcours, nous espérons vous avoir conduit à la porte du pardon. Une fois devant cette porte, à chacun de l’ouvrir pour y découvrir le trésor d’amour qu’il contient. Que signifie alors pardonner ? Soulignons tout de suite avant de faire le point sur notre réflexion qu’il ne s’agit pas d’un exposé devant répondre aux différents problèmes, mais plutôt d’une aide pour entrevoir des pistes de réflexion et pour vous accompagner durant des moments difficiles où nous sommes invités à choisir entre l’amour et la haine ; le pardon et la vengeance ; la violence et la paix.

Dans la première partie de ce travail, nous avons brièvement exposé l’origine du mot pardon qui remonte aux années 1135. De l’analyse du mot, le préfixe précédant le « don » nous a permis de déduire de l’étymologie qu’il s’agit d’un simple don. Ce simple don traduit une rupture avec la violence et apparait comme une réponse inattendue quand un mal est commis.Ainsi, il  est ce par quoi l’équilibre humain et social est maintenu. C’est un acte d’amour, une nouvelle exigence pour des relations simples, vraies et viables. Car le pardon appelle la confiance qui est l’élément indispensable pour s’ouvrir à l’autre et pour l’aimer.

Nous avons ensuite montré ce à quoi l’homme s’expose quand il refuse d’accorder son pardon dans notre seconde partie. Il est enfermé dans un cycle infernal de vengeance, la vengeance apparait comme un mouvement naturel de la personne pour se faire justice. C’est ce que les juifs traduisent par la loi de talion. Tu me prends un œil, je te prends aussi un œil. L’homme est alors livré à un stress continuel qui peut être à l’origine de certaines maladies. En plus du stress et de la vengeance, on peut tomber dans une dépression. Toutes ces choses arrivent lorsqu’on ne fait pas face à notre blessure et qu’on ne la traite pas par le baume du pardon. Le travail qu’on a à faire, c’est d’aller chercher l’agression enfouie en nous, de la guérir et de la transformer. Que vis-tu ? Es-tu heureux (se) ? Comment va ton travail ? Quel climat règne dans ta famille, ton couple ?Il me semble que je ne répèterais pas ces questions.

C’est dans l’optique d’aller affronter sa blessure et de s’ouvrir au don qu’est le pardon que nous avons dans notre troisième partie, le cheminement vers le pardon. Ce cheminement va de la prise de décision à l’ouverture à la force du pardon. Ceci en passant par la reconnaissance de sa blessure, se dire et dire sa souffrance et recevoir sa guérison.

Ensuite, dans une quatrième partie nous avons présenté quelques dimensions du pardon qui va de la dimension anthropologique à la dimension religieuse.

Pour conclure, voici la question quise pose à nous: pourquoi pardonner ? 

Ce qui motive le plus fortement àpardonner est le sentiment d’avoir soi-même été pardonné,ou à défaut, la conscience de ce que, comme tout êtrehumain, nous sommes imparfaits et avons commis destorts pour lesquels nous avons nous-mêmes besoin d’êtrepardonnés.Et nous pardonnons non pour paraître gentils aux yeux des autres, mais pour  surmonter la peine quand nous sommes blessés, pour trouver la paix quand la haine et le désir de vengeance nous habitent. Carnous pourrions blesser quelqu’un sans le faire exprès. Ou bien nous savons que nous avons fait aussi des erreurs regrettables ou condamnables, et qui nous marquent pour la vie. Nous pouvons être traumatisés par une blessure d’enfance que nous ignorons et qui nous empêche d’agir ou de supporter quelqu’un qui reflète ???.Je ne comprends pas

Nous ne saurions clore ce partage de témoignages sans envisager un formulaire de questionspour nous permettre de faire un voyage à l’intérieur de nous-mêmes, pour mieux nous connaitre et pour faire de notre monde un monde meilleur.

1-   Suis-je ouvert et abordable ?

2-   Est-ce que j’accepte volontiers des conseils ? Une correction fraternelle ?

3-   Suis-je ouvert aux risques ? A l’inattendu ?

4-   Est-ce que je laisse les autres agir dans ma vie (Dieu, parents, amis…) ?

5-   Saurais-je distinguer dans mes désirs les bons des mauvais pour l’équilibre humain et/ou social ?

6-   Suis-je capable de faire silence et d’écouter ?

7-   Puis-je me  rappeler un moment où j’ai pris la décision de pardonner ? Où ? Comment cela est-il arrivé ? Quand ? Cette décision est-elle bienfaisance ou bouleversante ? Ou est-ce pour paraitre gentil ?

8-   Pourquoi la démarche du pardon me parait-elle difficile et semble trop me demander ? Est-ce parce que je manque d’amour ou que je ne me sens pas aimer ni pardonner ?

9-   Est-ce que je prends parfois le temps de réfléchir sur ma vie ? sur mes joies et mes peines ? Sur la façon dont je soigne mes blessures ? Est-ce par refoulement ou est-ce que je les affronte avec courage et confiance?

10-               Qu’est ce qui me fait peur ? les gens, l’amour…?

11-               M’ est-il déjà arrivé de renoncer à un processus de pardon que j’ avais initié ? De quoi ai-je peur ? Des exigences, la confiance, l’avenir de notre relation ?

12-               Quelles sont les questions ou problèmes qui me tracassent maintenant ?

13-               Suis-je préoccupé par la question : Pourquoi pardonner ?

14-               Quel est mon souhait quand je suis offensé ?

15-               Ai-je l’audace ?? Le courage ?? de dire en toute sincérité : tu m’as offensé et j’ai eu mal, cependant par amour je te pardonne ?

16-               Que signifie concrètement pour moi : « me livrer à la force du pardon » ?

17-               Ai-je connu dans ma vie des impasses, des situations apparemment sans issue ? Comment m’en suis-je sorti ? Cela m’a-t-il fait grandir ou bien cela m’a-t-il rabaissé ?Il faudrait que les questions soient à la même personne, j’ai tout mis à la 1ère..à toi de choisir …


[1] Signifie : faire grâce de la vie.

[2] Jacques Marin, Qimer c’est pardonner,ed. des béatitudes,  France, 1990.

[3]Lc 15,

Le pardon et la réconciliation dans le processus de reconstruction d’une société

Classé dans : Non classé — 7 août, 2012 @ 10:21

 

 

 

 

Maison Lavigerie

Grand Séminaire des Missionnaires d’Afrique

Affiliée à

L’Institut Supérieur de Philosophie et Sciences Humaines

(ISPSH/ Don Bosco Lomé)

 

 

 

 

 

 

 

Le pardon et la réconciliation dans la problématique de reconstruction de la société

 

Travail de fin de cycle 2010-2011

 

 

 

 

 

 

Travail présenté par :

            Etudiant                                                                         sous la direction de

Eléssessi Komlan TODJRO                                                      Mr Pierre BOUDA

 

 

Ouagadougou Juin 2011

 

 

 

Le pardon et la réconciliation dans la problématique de reconstruction de la société

Introduction

Dans leur vie communautaire, les hommes sont amenés à s’affronter les uns les autres. Ces affrontements sont sources de conflits, de haines et de rancœurs. Pour sortir de ces conflits, plusieurs moyens sont mis en œuvre : la culture de la paix, la non violence active, le pardon, la réconciliation… Parmi ces moyens, le pardon et la réconciliation ont pris une grande ampleur aujourd’hui. Cette ampleur de la demande de pardon se manifeste à tous les niveaux de la société. Des chefs, des hommes politiques, des responsables de communautés, des dirigeants religieux et plusieurs autres personnes font publiquement amende honorable à des personnes et à des groupes de personnes. Une telle ampleur suscite en nous la question suivante : le pardon et la réconciliation ont-ils un intérêt pour nous aujourd’hui ? De prime abord, une telle question ne mérite pas d’être soulevée. Elle apparaît provocatrice, car ce sont des valeurs qui ne semblent pas à la mode comme nous dit Olivier Abel. Peut être parce que “ [le pardon] est pris entre l’ « amnistie » et autres « prescriptions » ; ou par le doute quant à son caractère « imprescriptible » en face de certains droits ou crimes, ou parce qu’il est trop compromis avec des notions religieuses obscures comme le « péché », la « rémission », l’ « absolution », la « rédemption »“[1]. Or, il y a quelques années, un célèbre ouvrage paraissait à la fin des rapports de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) de l’Afrique du Sud : Il n’y a pas d’«avenir » sans pardon. Il est légitime de s’interroger sur la signification d’une telle affirmation. Notre question est de savoir si, avec la perte de paradigme des valeurs, repères et normes morales et éthiques, comme soutenu par N. Luhmann, il est possible de penser le pardon et la réconciliation comme des moyens de sortie des crises et des conflits que connaissent  nos sociétés aujourd’hui.

Pour entrevoir une réponse à cette question, il convient, par delà l’approche du sociologue, du politique, et du religieux, d’esquisser une réflexion sur la question des conflits et des crises que connaissent nos sociétés, de s’interroger sur la position qui est assignée au pardon et à la réconciliation à l’intérieur même du projet philosophique. Il s’agit d’engager une discussion philosophique sur la valeur du pardon et de la réconciliation dans le processus de reconstruction d’une société déchirée par les différentes crises. Cela nous amène à poser les questions suivantes : Comment vivre ensemble avec les criminels contre l’humanité ? Comment tourner les pages atroces de l’histoire tout en rétablissant une cohésion au sein de la communauté meurtrie et divisée ? Comment penser et assurer la meilleure transition possible vers une société de droit et de paix civile lorsque les violences et l’oppression ont laissé des traces profondes dans la conscience et dans l’inconscient, dans les corps et dans les âmes ?

Notre ambition est de montrer qu’à travers le pardon et la réconciliation, une reconstruction des sociétés est possible en vue d’un mieux vivre. Nous commencerons par la présentation des fondements du pardon et l’aporie du pardon et de l’impardonnable. Ensuite, parce que le pardon est perçu comme une réponse non violente, nous penserons la sortie de la violence à la lumière de l’expérience politique du pardon. Enfin nous achèverons notre réflexion par les usages du pardon en vue de la réconciliation et de la reconstruction des sociétés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I. Les fondements du pardon et l’aporie du pardon et de l’impardonnable

I-1 Les fondements du pardon

La postmodernité est aujourd’hui confrontée  à des paradoxes frappants. On parle de « pardon collectif » pour enterrer les horreurs du passé. Or, au même moment, la violence, la haine et la guerre remplissent  les nouvelles quotidiennes. Nous assistons ainsi à un renversement des valeurs. Les termes « pardon », « réconciliation » et « paix », n’ont plus la même connotation qu’au moment de leur émergence. Quel est le fondement même de la notion de pardon ?

Dans sa réflexion sur les conditions de possibilité de l’action humaine, H. Arendt montre comment l’homme se débat contre l’imprévisibilité de l’avenir et l’irréversibilité du passé. Par la faculté de promettre et de pardonner, il résiste à l’indétermination du futur et dénoue les liens du passé. H. Arendt présente le pardon comme l’une des conditions de l’agir humain, mais son origine, dit-elle, remonte à Jésus : « C’est Jésus de Nazareth, écrit-elle, qui découvrit le rôle du pardon dans le domaine des affaires humaines[2] ».

Héritière de la tradition juive, la tradition chrétienne rappelle que le pardon ne relève pas uniquement de Dieu[3], mais qu’il y a une urgence à l’unir à l’agir humain comme le témoigne la prière du « Notre Père » enseignée par Jésus. « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». A travers ses reproches envers les scribes et les pharisiens, Jésus montre que Dieu n’a pas à lui seul le monopole du pouvoir de pardonner et que la relation à Dieu dans le processus du pardon est secondaire, le pardon divin vient s’ajouter au pardon des hommes. Le pardon « doit au contraire s’échanger entre les hommes qui, après seulement, pourront espérer se faire pardonner aussi de Dieu[4] ». Dans l’Evangile, l’homme n’est pas censé pardonner pour bénéficier du pardon divin. Le pardon de l’homme n’est pas une imitation de Dieu. De cette approche arendtienne, nous aboutissons à la conclusion selon laquelle le pardon trouve son fondement dans l’agir humain. Il n’est pas un acte transcendant, il émane au contraire de la lutte de l’homme contre l’irréversibilité du passé et l’imprévisibilité de l’avenir. Un tel fondement nous autorise-t-il à inscrire le pardon dans la philosophie ? Dans ce travail, nous allons présenter la capacité ou l’incapacité  de l’homme à accorder ou à refuser son pardon.

I-2 Les apories du pardon et de l’impardonnable

La question qui se pose à propos du pardon réside dans la détermination de ses limites. En d’autres termes, tout est-il pardonnable ? Telles sont les questions qui sont souvent posées quand on aborde le thème du pardon. Ceci revient à demander quelles sont les conditions ou les limites du pardon.

Une telle formulation nous invite à remarquer que le pardon ne se présente dans l’expérience concrète, et ne se pense qu’à partir de ses contraires. En effet, il n’y a pas de pardon qui  ne refuse pas la vengeance et il n’y a pas de pardon qui ne pense le pardonnable et l’impardonnable. Le phénomène du pardon se situe dans ce dualisme : A-t-on affaire à du pardonnable ou à de l’impardonnable ? Faut-il pardonner ou non, tenir rigueur, exiger réparation, punir, voire se venger ?

Tout essai sur le phénomène du pardon revient à analyser  cette alternative et ses implications. Il s’agira de dégager l’absolue gratuité et l’inconditionnalité du pardon. En effet, l’idée d’impardonnable semble exclure celle de la gratuité infinie et inconditionnée du pardon.

I-2-1. L’exigence du pardon face à l’impardonnable

I-2-1-1. Du pardon et de l’impardonnable

La question majeure qui naît dans la pensée de qui se trouve en position de demander pardon, comme à celui qui est en position de pardonner, reste celle de savoir, pour le premier, s’il peut effectivement être pardonné et pour le second, s’il peut et doit ou non pardonner. Où passe la limite entre le pardonnable et l’impardonnable ? Ceci revient à nous interroger sur la limite entre ce qu’on peut avoir la force de pardonner et ce qui est au-dessus de nos forces de pardonner d’une part ; et d’autre part, sur la limite entre ce qu’il est légitime de pardonner et ce qu’il serait illégitime de pardonner.

Cette dernière question attend, à la fois une réponse morale qui détermine clairement à partir de quand il devient infondé, injuste et même mauvais de pardonner, et une réponse qui réfléchisse au  type de relation qu’il serait envisageable de créer avec celui à qui il est question de pardonner ou non.

Pardonner est injuste et est en soi un crime à l’égard des victimes disparues. C’est ce que Simon Wiesenthal raconte dans son entrevue avec Karl, un jeune SS mourant, qui a demandé pardon pour ses exactions contre le peuple juif. Il expliquait qu’il ne s’est pas senti le droit de pardonner à la place des victimes, et que le fait de faire partie de la communauté des persécutés ne lui a pas semblé suffisant. Accorder son pardon ne lui semblait pas légitime ; et le faire eut suscité plus de culpabilité qu’autre chose, comme si le pardon était un nouveau coup porté aux victimes. S. Wiesenthal a refusé de pardonner car cela ne lui semblait pas juste, bien qu’il fasse partie de la communauté des victimes. Ainsi surgit la question de la légitimité d’un pardon collectif et d’un pardon accordé, non seulement en son nom, mais encore au nom d’autrui. Ces questions viennent redoubler celle de la légitimité du pardon tout court.

Nous l’avons dit, tracer la frontière entre le pardonnable et l’impardonnable suppose une réflexion sur le type de lien et de communication qu’il serait possible de créer. Pardonner a-t-il un sens ? C’est la question qui se pose quand on cherche à savoir s’il s’agit d’un crime pardonnable. Armand Abécassis écrit que « quand le criminel a réparé, jeûné, pris le deuil, prié et s’est engagé dans la voie de la réforme et de la vigilance à l’égard des racines du crime, il a droit au pardon[5] ». Il évoque aussi ce sans quoi on se situerait dans le domaine d’un impardonnable, et pardonner dans cette condition serait illégitime. Et quand il ajoute que seul le pardon pourrait répondre au crime nazi, et que pourtant « la communauté juive ne peut et ne doit pas encore pardonner devant la recrudescence du racisme et de l’antisémitisme[6] », il pense à l’impossibilité de créer un lien avec un coupable qui ne s’amende pas et qui ne fait pas effort ni pour changer ni pour ne pas persévérer dans son crime. Pardonner à qui ne prend pas sérieusement les moyens de ne pas agir mal à nouveau n’aurait aucun sens et rendrait, en ce domaine de vies et de morts, tout projet de pardon illégitime. Cette question du sens du pardon, eu égard au comportement du coupable, semble parfois suspendue devant la question du mal et du bien. Si Hannah Arendt met le crime nazi au rang des offenses qu’on ne peut « ni punir, ni pardonner » et qui, par suite, « transcendent le domaine des affaires humaines[7] », c’est, à coup sûr, parce qu’il a détruit les affaires humaines et tout le potentiel humain. Il détruit l’homme et notamment son être politique, sa potentialité à nouer des relations authentiquement humaines. Cependant, cette annihilation rend ensuite impossible la vie et a fortiori une vie commune des victimes et des coupables.

La pensée de V. Jankélévitch, en ce qu’elle est paradigmatique de cette approche double, mérite ici une attention particulière. Pour Jankélévitch, il y a un  « Impardonnable qui est peut-être le résidu irréductible d’une réduction infinie et toujours inachevée »,[8] car il y a, en droit, ce qu’on ne saurait pardonner de manière légitime. Le pardon se heurte à un « empêchement absolu », à un « empêchement métempirique ». Il se heurte à de l’impardonnable, impardonnable que Jankélévitch caractérise comme la « liberté malveillante, la liberté mal intentionnée qui […] est le mal lui-même[9] ». Au fondement de son refus de pardonner au peuple allemand se trouve l’idée que le peuple allemand est un peuple de chiens enragés. Au-delà de la colère qui anime Jankélévitch, c’est la question du crime métaphysique[10] qui l’inspire. Si tout lien est coupé parce qu’il y a eu un mal absolu, et que le mal absolu exclut le pardon, alors seul l’impardonnable pourra répondre à la convocation du mal absolu.

Quand on pense le pardon à la lumière du Bien et du Mal, on se heurte toujours au Mal accompli et surtout à de l’impardonnable. Nous allons, dans les lignes suivantes  voir si pardonner peut être un mal en soi et par soi.

I-2-1-2. Un cercle aporétique

Pardonner n’est pas toujours légitime et le faire serait offenser de nouveau les victimes et leur mémoire. Pourtant, face à cette impossibilité du pardon et de ses exigences, se dressent les exigences du pardon. Voilà ce que nous désignons par cercle aporétique dans lequel se trouve pris, celui qui est confronté à la question du pardon.

Le pardon, explique Jankélévitch, en un premier sens, va à l’infini. Il ne demande pas si le crime est digne d’être pardonné, si la rancune a assez duré… Ainsi le pardon est-il là pour pardonner ce que nulle excuse ne saurait excuser. Dans cette optique, l’acte du pardon est capable de tout et ne connaît pas d’impossibilité. La question est alors de savoir à quelle condition le pardon serait dénué de sens. La condition élémentaire, c’est la détresse, l’insomnie et la déréliction du fautif. Cette condition est ce sans quoi la problématique du pardon serait une simple bouffonnerie. Pour que le pardon soit véritable, il faut que le coupable se reconnaisse comme tel, sans plaidoyers ni circonstances atténuantes et surtout sans accuser ses propres victimes. L’autre condition serait celle de la demande de pardon que Jankélévitch formule de la façon suivante : « Pour que nous pardonnions, il faudrait d’abord, n’est-ce-pas ? qu’on vienne nous demander pardon. Nous a-t-on jamais demandé pardon ? », « Pourquoi pardonnerions-nous à ceux qui regrettent si peu et si rarement leurs monstrueux forfaits ?[11] » Ces questions constituent une réponse pour ceux qui considéraient le pardon comme une farce et quelque chose de dérisoire qui enveloppait le crime dans le silence et l’oubli.   

Nul ne peut s’exempter de la question du pardon, même quand il se heurte à de l’impardonnable. Dans une telle situation, on ne peut pas pardonner, ni mettre aux oubliettes le caractère inconditionné du pardon. Nous sommes ainsi devant un cercle aporétique, clos sur lui-même, auquel on ne peut apparemment rien ajouter et pour lequel il n’y a pas de conclusion dialectique possible.

Une fois que le pardon est prisonnier d’une circularité limitative et indépassable, il apparaît à la fois puissant et impuissant. Nous sommes ainsi pris entre deux exigences infinies, pardon et impardonnable, qui se heurtent infiniment. En enfermant le pardon dans ce dualisme, sans pouvoir briser cette circularité, Jankélévitch ne porte-t-il pas un coup décisif à l’idée du pardon ? « Le pardon [dit-il] est mort dans les camps de la mort ».[12]

            Que penser alors d’un pardon qui devrait toujours se définir négativement et par rapport à ce qui resterait impardonnable ?

I-2-2. Les difficultés d’assigner des limites et des conditions au pardon

Il s’agit ici, pour nous, de questionner et de comprendre la notion d’impardonnable, car le pardon se définit avec et par rapport à cette dernière notion. Celle-ci, présentée comme l’opposé du pardon, devrait nous servir à comprendre le pardon. Mais, c’est un domaine problématique, puisqu’on n’arrive pas à en donner une définition objective.

I-2-2-1.Les difficultés d’une définition objective de l’impardonnable

Quand on parle du pardon et de sa légitimité, on est confronté à l’impardonnable, comme si l’impardonnable pouvait être défini objectivement. Pouvons-nous déterminer le lieu du pardon et le lieu de l’impardonnable ? Quels sont les critères qui permettent de les identifier ? A quoi reconnaît-on que tel acte est un mal pardonnable et l’autre impardonnable ?

Les différents critères proposés pour penser l’impardonnable sont relatifs, mis en œuvre dans une culture ou dans une époque donnée. Ils ne permettent pas de fonder solidement la notion, qui demeure problématique.  Pour que l’idée d’impardonnable ait un sens et un sens qui la fasse échapper aux déterminations temporaires ou trop subjectives que le sujet blessé pourrait transposer ou projeter sur lui-même, il paraît nécessaire de rechercher un critère non seulement objectif, mais aussi universel et  absolu. Mais un tel critère, existe-t-il ?

C’est généralement l’idée de l’absence des victimes qui est avancée pour refuser d’accorder le pardon. Le refus de pardonner évolue avec l’idée que nul n’a le pouvoir de pardonner les souffrances perpétrées contre un autre. Un tel argument semble valoir de manière absolue et universelle. Il est évident, et on comprend que nul ne peut pardonner à la place des victimes. Si celles-ci sont encore en vie, c’est à elles qu’il faudrait demander pardon. Si elles ne sont plus en vie, tout pardon de leur part est impossible. Alors, revient-il à un tiers d’accorder le pardon en leur nom ? Cela semble infondé. Le tiers, qu’il soit humain ou divin, ne peut pardonner le tort fait à la victime, mais il est seulement appelé à pardonner les souffrances qu’il a endurées. L’interrogation que suscite le pardon, ne réside pas dans la capacité des vivants à pardonner à la place des absents et des morts, mais dans la capacité des vivants à répondre pour les souffrances qu’ils ont endurées. Pardonner est une façon d’honorer la mémoire des victimes[13], sans pour autant chercher à se substituer à elles. Ainsi, pardonner au nom des victimes, ne signifie pas pardonner à leur place. L’impardonnable ne se fonde donc pas sur l’absence des victimes, mais sur les vivants qui ont souffert et qui portent en eux un réseau infini de chagrin. La vie est aujourd’hui devant les vivants et ce sont eux qui sont appelés à vivre avec les coupables. Alors on pourrait réduire la question du pardon aux seuls vivants.

Cette approche théorique sur le pardon nous a permis, comme l’a suggéré Jankélévitch, de répertorier des conditions qui rendent le pardon possible : le repentir et la demande de pardon du coupable ; et la lutte contre les racines du mal, comme souligné par Armand Abécassis. Ceci vise à établir un pardon qui fasse sens, c’est-à-dire, qui favorise la restauration des liens sociaux. La question du pardon nous met en face, comme le souligne Jankélévitch, du caractère infini de l’impardonnable et du devoir moral de ne pas pardonner. Mais le critère objectif du mal, loin de permettre d’échapper à l’aporétique du pardon et de l’impardonnable, oblige à faire un choix.

Il convient de dire dans une première approche, soit que le pardon n’a pas pour finalité de répondre au mal, alors que c’est sa véritable nature ; soit que l’idée de pardon n’est ni pensable, ni envisageable. Ceci implique deux choses : la première, interroger l’idée même de l’impardonnable pour savoir si elle est la vérité de la question du pardon ; la seconde, interroger le lien entre pardon et impardonnable pour voir s’ils ne sont pas pensables hors de cette relation.

I-2-2-2. L’idée de l’impardonnable

L’impardonnable est-il la vérité de toute interrogation sur la démarche et la possibilité de pardonner ? Poser la problématique du pardon en termes moraux est-il adéquat ? Est-ce l’unique approche ?

Quiconque évoque l’idée d’impardonnable ne pardonne pas, il ferme le coupable dans l’irréversibilité du passé et dans l’imprévisibilité de l’avenir.  Dans les débats sur l’impardonnable, dans un premier moment, on dissocie le mal de celui qui l’a commis. Ainsi la question ne porte pas sur le coupable, mais sur son acte. Dans un second moment, on sous-entend que l’acte fait corps avec le coupable. Dans ce cas, le jugement est porté sur la personne et non sur son acte. Ainsi, celui qui demande pardon attend que l’on pardonne son acte et aussi sa personne. Nous sommes ici en présence des théories morales, où le pardon serait l’opposé irréconciliable de l’impardonnable. Ainsi, nous ne nous trouvons plus en face d’un impardonnable absolu, mais nous sommes confrontés à un impardonnable absolu appelé à devenir relatif.

I-2-3. Le pardon comme la réponse à l’impardonnable

Aude-Marie Lhote, s’inspirant de Kierkegaard, affirme que Dieu n’est pas le dieu des pieux, mais des impies[14]. L’homme qui est impie est un élu de Dieu. Ceci est l’horreur de la révélation chrétienne, devant laquelle s’exclame Kierkegaard, car l’expression de Jésus « je suis venu pour les pécheurs, non pas pour les justes » traduit le fond de l’idée chrétienne du pardon. Là où la raison semble limitée dans l’agir humain, le pardon y transcende. Il serait une folie de l’impossible, c’est l’une des manières essentielles de sa définition. Il fait partie de cette tension entre le possible et l’impossible. Seul ce qui est impardonnable, selon toute logique, est pardonnable, car c’est à l’incompréhensible que renvoie le pardon. Dans l’ordre logique, le pardon débute où il paraît s’achever. Il est d’un ordre spécifique, qui relève du cœur et non de la force ni de la raison. C’est dans cette optique qu’il va à l’infini, vers ce qui semble impossible à la raison.

I-2-3-1. Dimension absolue et inconditionnée du pardon

Saint Paul dans sa lettre aux Romains déclare : « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». Nous déduisons que ce qui est, selon la logique humaine, difficilement pardonnable, se fait plus proche du pardon. Nous pourrons déduire que où se dessine à l’horizon l’impossibilité du pardon, se dévoile en fait non seulement sa possibilité, mais encore sa réalité. Dire, à un moment, que nous sommes en face d’un acte impardonnable nous situe au coeur même de la plénitude du pardon, car le pardon est là pour pardonner l’impardonnable. Tout se passe comme si, tendant vers un absolu, se présente un autre absolu plus puissant que le premier. Au mal absolu répond toujours un pardon absolu plus fort que ce mal.

Le pardon est inconditionnel, absolu et infini à plusieurs titres. Le préfixe « par » l’exprime bien. Absolu, il l’est tout d’abord parce qu’il est un don qui va « au-delà » ; or le don relève de la gratuité et de l’absoluité. Ainsi, le pardon transcenderait la simple gratuité et absoluité du don ; il s’agit donc d’un méta don. C’est un don ultime qui va au-delà du don lui-même, au-delà de la faute. Il est absolu parce qu’il semble nécessaire et irréductible à toute autre démarche comme à tout autre concept. Si le pardon est inconditionnel et absolu, n’est-il pas un avènement qui change le cours de l’histoire humaine comme le souligne Arendt ?

I-2-3-2. Le pardon ou l’avènement d’un futur en rupture avec le passé

Qu’entendons-nous par pardonner ? C’est une réponse au mal, à la violence et plus encore, une réponse inattendue au mal absolu et à l’impardonnable. Cette réponse tranche radicalement avec les conséquences du mal : l’esprit de vengeance. Quand la demande de pardon est formulée, deux sortes de réponses s’offre à nous : « oui je te pardonne » ou « non je ne te pardonne pas ». La réponse donnée à une demande de pardon est l’expression de la foi que nous plaçons dans la puissance de la démarche de pardon et de la confiance que nous décidons ou non de redonner à autrui. La demande de pardon et la parole qui pardonne offrent, pour les uns et pour les autres, la possibilité de faire advenir quelque chose de nouveau. Cette nouvelle chose est en rupture avec le passé, change la nature des relations humaines. De plus, elle transforme l’être, la vie et le temps en ce sens qu’elle fait advenir des horizons nouveaux en rupture avec le cycle de la violence dans lequel l’homme est enfermé.

Le pardon en ce sens est absolu, car il introduit une discontinuité dans le cours normal des choses depuis que le mal a été commis. Il est aussi un événement re-créateur qui ouvre de nouvelles possibilités pour les relations humaines et une réouverture d’un avenir jadis fermé par les conséquences du mal.

 

Pour toute personne qui entreprend de penser pleinement le pardon, l’opposition irréductible et aporétique entre le pardon et l’impardonnable constituera un centre d’intérêt, car le pardon n’est véritable que quand on est en face d’un impardonnable. Même si le pardon se présente comme un concept, il est avant tout une démarche et une parole qui nous révèlent la capacité de l’homme à donner encore et malgré tout gratuitement. Pardonner, c’est faire le choix éthique de la confiance. La parole qui pardonne et celle qui demande pardon nous révèlent le mystère d’une liberté humaine en quête du bonheur et de la plénitude d’une vie heureuse.

 

II. Le pardon comme moyen de sortie de la violence

Dans notre première partie, nous avons présenté les fondements du pardon et étudié quelques questions auxquelles on est confronté quand on évoque la notion du pardon. Le pardon se présente comme une démarche, une quête du bonheur. Or cette quête est aussi envisagée par la politique. Ici, nous envisageons d’analyser l’expérience politique du pardon et, ensuite, d’exposer la contribution du pardon pour sortir de la violence.

II-1. L’aporétique du vrai  pardon

Nous n’allons pas reprendre ici ce qui a été précédemment dit, mais il s’agira de présenter quelques éléments caractéristiques du pardon selon Jankélévitch.

Le pardon est un événement daté qui advient à tel ou tel moment du devenir historique ; c’est un acte accompli à un moment donné ; il ne peut intervenir que dans un rapport personnel avec quelqu’un, c’est-à-dire entre celui qui pardonne et celui qui est pardonné ; le pardon est total, absolu, extrajuridique, irrationnel et de l’ordre de la gratuité.

L’unique pardon pur et vrai se trouve dans l’instant et exclut toute référence à une instance en dehors de l’histoire. Il n’est pas synonyme d’oubli ou d’excuse. Dans la seconde caractéristique, Jankélévitch rejette une instance suprapersonnelle. Il ne s’agit pas d’une conscience collective, ni d’une institution qui déciderait en tant que personne morale qui transcende les individus.  Il ne pourra naître que dans des relations interpersonnelles. Ni un Etat, ni un peuple, ni un proche de la victime ne peuvent prétendre pardonner. Le pardon apparaît comme un instant de relation, une période de création absolue; ainsi il ne peut être une simple étape, mais il est lui-même sa propre fin. Cependant, dans des situations de violence, il pourra être un moyen de la reconstruction d’une société en crise.

Suivant ces caractéristiques, non seulement, le pardon n’a rien de commun avec le droit et la justice, mais il doit posséder un caractère extrajuridique. Dans la sphère politique et juridique, il ne correspond plus à rien dans les relations sociales. De ces trois caractéristiques, nous pouvons dire que le pardon ne peut être inscrit dans le domaine politique. Ainsi, nous nous acheminons vers l’idée d’une impossibilité du pardon en politique.

II-1-1. De l’impossibilité du vrai pardon en politique

Les différentes expériences où l’on a fait recours à la figure du pardon montrent que ce recours vise à anoblir les politiques de justice des gouvernements démocratiques et s’inscrivent dans une réalité où  les solutions classiques de construction de l’unité sociale ne sont plus insoutenables et envisageables[15]. Il s’agirait de créer des instances qui sont chargées de faire la lumière sur les violences passées, mais certaines de ces institutions œuvrent  à légitimer l’action des anciens bourreaux. Une telle attitude occulte le caractère inégalitaire, ajuridique et amoral des politiques. Or le pardon, dans le droit international, suppose le plein exercice du « droit de la victime » en faisant la vérité et la lumière sur les différentes formes de violence.

Cette attitude qui anoblit les politiques gouvernementales, pousse certaines victimes à rejeter la figure du pardon placée dans la sphère des relations morales. Ce refus s’explique par la « perversion » du langage politique, et les tenants d’une telle position pensent que les gouvernements se sont emparés du concept du pardon pour mettre un rideau sur une politique d’impunité. Cette politique arrache à la victime son pouvoir de pardonner, pouvoir qui lui revient à elle seule ou à Dieu, pour le confier à des institutions. Ce refus ne se manifeste pas uniquement chez la victime, mais aussi, chez certains bourreaux qui reconnaissent leur responsabilité, et pourtant ne sont pas prêts à demander pardon. L’attitude des bourreaux se justifie par le fait qu’ils se représentent le pardon comme un acte de lâcheté et de faiblesse. Ainsi, pardonner traduirait une incapacité à nous venger, et nous pardonnons aussi car cela nous donne l’air d’être gentil.

A ces deux objections, d’une part, de la victime qui prône le pardon comme le plein exercice de son droit et d’autre part, le bourreau qui y perçoit un acte de lâcheté et de faiblesse, pour proscrire le pardon de la scène politique,  il faut ajouter que l’articulation « pardon en politique » est un oxymore. Ceci s’explique par le fait que le pardon relève d’un domaine personnel, or la politique relève de l’ordre public. Il y a donc une incompatibilité même dans les termes.

Outre ces objections, il convient de souligner que la question de la légitimité et de la possibilité du pardon est de la plus grande importance et ne saurait être éludée, si nous envisageons de penser avec cohérence l’ordre juridique, l’ordre politique et l’ordre éthique, car pardonner est une remise en cause de notre jugement et de tous ses principes. Le pardon ne peut être et ne doit être confondu aux mesures juridiques opportunes que sont la remise des peines, la réduction des peines, l’amnistie, l’oubli avec des motifs politiques et les différentes sortes de grâces.

II-1-2. De l’impossibilité à la nécessité du pardon politique

Le pardon s’oppose-t-il à la justice et à la politique ? L’opposition du pardon à la justice permet, dans une certaine mesure, de désigner certains problèmes, comme celui de la limite entre le pardon, la justice et la politique. Chaque notion indique les lisières de l’autre. Le pardon indique les limites de la justice et de la politique, et réciproquement. En rupture avec le caractère gracieux, sans échange et sans aucune condition tel que présenté par Jankélévitch dans les conditions paradigmatiques du vrai pardon, Abécassis évoquait comme condition minimale du pardon, le repentir et la transformation du coupable. Quelle conséquence pouvons-nous tirer de cette condition minimale? Une petite idée qui nous permet d’évoquer le pardon dans l’ordre juridique et politique : « Si notre idée du pardon tombe en ruine dès qu’on la prive de son pôle de référence absolu,(…), [elle reste] néanmoins inséparable de ce qui lui est hétérogène, (…), le repentir, la transformation, autant de choses qui nous permettent de l’inscrire dans l’histoire, le droit, la politique (…)[16] », nous dit Jacques Derrida. Il convient de souligner, dans cette perspective, que l’auteur concilie l’absoluité et l’inconditionnalité du pardon et l’idée des conditions du pardon pour répondre à des besoins d’ordre social et politique. L’auteur de Foi et Savoir souligne que, malgré cette conciliation, l’inconditionnel et le conditionnel sont irréductibles l’un à l’autre. Cependant, ils constituent ce sans quoi le pardon ne serait pas effectif, concret et historique. Pour que cela advienne, nous dit Derrida, il faut que le pardon « dans sa pureté  s’engage dans une série de conditions[17] ». Ces conditions sont d’ordres psychologiques, sociologiques, politiques et juridiques. Or, de par la perversité du langage politique et Juridique, il s’oppose à la pureté du pardon. Mais, ces conditions, bien qu’irréconciliables avec le pardon, lui restent indissociables. Voilà pourquoi cette opposition constitue le moment de prise de décision et de responsabilité chez Derrida.

Le pardon et/ contre l’ordre politique

La situation même du pardon au sein du « paradoxe de la morale » fait paraître les exigences de son institutionnalisation comme saugrenue. Or Derrida, dans une hypothèse, dit  que la rémission des gouvernements démocratiques serait équivalente au pardon. En effet, l’amnistie et la grâce, quand elles sont inscrites dans l’ordre des justices de transition, sont des instruments juridiques hybrides et sont en marge des codifications juridiques. L’amnistie, dans une certaine mesure et de par sa nature, nie le droit car elle s’autorise à revenir sur le droit. Cependant, nous pouvons considérer ces moments de suppression, de neutralisation et de refondation du droit comme des moments juridiques. C’est en face de ce phénomène et de l’universalité de la loi que certains auteurs soulignent l’incompatibilité du pardon avec l’ordre juridique. Malgré leur incompatibilité, pardon et rémission juridique se rapprochent du point de vue fonctionnel dans des situations de défaillance de la justice. La notion de responsabilité formulée dans un contexte démocratique n’arrive plus à donner une réponse satisfaisante à la violence massive. Cette incapacité du juridique devant la violence a conduit à un recours au pardon par certains acteurs pour suppléer aux carences de la justice et de la politique et pour établir ainsi un nouveau principe de responsabilité politique et juridique assez adéquat.

L’expérience politique du pardon

Quelques réflexions philosophiques s’inscrivent dans une conception particulière de l’espace politique. Le langage politique n’est pas un discours vrai ; il s’agit d’une subversion qui échoue dans la détermination univoque de l’homme par une raison calculante. Chez Hobbes, la peur serait le fondement de la politique[18]. H. Arendt et E. Levinas s’opposent à cette conception qui réduit la pluralité politique à un ordre bien pensé, qui évacue l’éthique et la liberté qui fondent la politique.

La formalisation d’une expérience politique du pardon apparaît clairement dans le chapitre sur l’action dans l’ouvrage, La condition de l’homme moderne. L’action constitue une trilogie de distinctions anthropologiques, qui recouvrent les distinctions politiques que sont la violence, la domination et le pouvoir. Le pouvoir naît de la rencontre et de la pluralité égale et non hiérarchique ; il  jaillit parmi les hommes lorsqu’ils agissent ensemble et se dissout dès qu’ils se dispersent[19] . Pour H. Arendt le domaine public existe uniquement en puissance, car il est issu de parole échangée. Ce domaine apparaît uniquement quand les hommes se rassemblent et donnent leur parole. Seule la politique selon elle, « immortalise » l’homme, mais elle est confrontée à sa propre fragilité à laquelle la faculté de pardonner et la faculté de promettre répondent, afin de sortir de l’incertitude.

Concevoir le pardon comme une expérience pleinement politique, laisse place à une critique concernant l’éventuel recours à des choses externes, comme des conventions juridiques et morales. Pourtant Johnston soutient qu’ « aucune solution diplomatique ou militaire ne parviendra jamais à briser le cycle de la vengeance, (…) tant que l’on n’aura pas introduit un élément spirituel qui conduise à s’engager sur le chemin du pardon et de la réconciliation [20]». Ricœur questionne le pardon à partir des relations entre le droit et la morale. Il s’agira, dans un premier moment, d’une réflexion sur le « juste, le légal et le bon » ; dans un second moment, une réflexion portera sur le passage d’une relation éthique à une relation politique. Dans ces conditions, le pardon serait une modalité de sortie des crises et de la violence, mais cette modalité ne relève pas de l’ordre du Juridique.

Le pardon serait nécessaire, parce que l’homme est appelé sans cesse à entretenir et à continuer de nouer des relations, en ce sens qu’il ne peut vivre en dehors de la cité, ou parce que l’impardonnable se fait présent, car la violence fait partie intégrante de la société, mais il reste cependant impossible. Il est impossible, car il est nécessaire et inversement. Ainsi conviendrait-il d’admettre l’impureté du politique, de défendre la pureté du pardon, de renoncer à toute tentative de conciliation et de réduction ; cependant, il faudrait envisager une articulation entre politique et pardon pour sortir de la violence et répondre aux attentes des politiques de transition.

II-2. De la violence politique et du pardon de puissance

Le paradoxe d’un pardon qui est à la fois impossible et nécessaire en politique peut être envisagé dans le cadre des justices de transition, afin de donner une réponse définitive à la violence, car les conflits actuels constituent un défi pour la diplomatie traditionnelle et exigent le recours à une démarche plus profonde fondée sur le pardon et la réconciliation. C’est la violence politique qui justifie la nécessité du pardon. L’imprévisibilité et l’irréversibilité de l’action proposent, dans l’optique arendtienne, la possibilité de la violence. Pour Ricœur, le pardon pourrait produire ses effets dans une politique émaillée de violence.

II-2-1. Le pardon pour sortir de la violence politique

Pour certains spécialistes des politiques de transition, le pardon apparaît comme l’instrument qui permettra de surmonter la mémoire de la violence et ses conséquences. Une telle assertion se comprend dans la mesure où on dit souvent que la violence appelle la violence. Ce dicton fait de la violence un phénomène interminable. Cette position sera soutenue par certains dans le contexte des transitions, et rend ainsi impossible l’œuvre du pardon. Ceci crée un sentiment diffus aux yeux de quelques acteurs politiques qui pensent que l’on ne pourra jamais sortir de la violence. Ils formulent leur incertitude comme suit : comment le pardon pourrait-il rendre possible quelque chose devant lequel la justice et la politique ont échoué ? Ici, nous évoquons de nouveau Arendt, car sa réflexion semble pertinente. Il convient de rappeler que, pour elle, la relation politique est un lien de pouvoir, un pouvoir qui naît de l’échange des opinions. Dans une telle conception de la cité qui naît du regroupement des hommes et disparaît quand ils se dispersent, quel statut peut-on accorder à cette conception des rapports entre violence et politique ?  Quel intérêt aurait l’hypothèse d’Arendt sur la valeur politique du pardon si sa conception du domaine politique est sans fondement réel ?

II-2-2. Le pardon comme une interruption de la violence

L’idée d’un rapport entre la politique et la violence semble proscrire le pardon de la sphère politique ; plus encore, cette idée l’empêche d’exister en tant que pardon véritable. Le pardon, perçu comme une rencontre égale, vivante, de prochain à prochain, n’aurait pas d’existence dans le domaine politique, domaine marqué par la domination et l’inégalité entre les hommes. A l’appel du pardon par les gouvernements dans le cadre des justices transitionnelles, s’oppose l’intransigeance des victimes, car elles rejettent cet appel qui, selon elles, n’est pas authentique. Il s’agira pour elles, de mettre en place des institutions qui favorisent la guérison des blessures qui sont à l’origine de la division du corps social et empêchent la reconstruction de la fraternité perdue et l’établissement d’une nouvelle société pour une coexistence pacifique, car le pardon est un processus dans lequel la victime « reconnaît l’humanité de son ennemi, chez lequel elle identifie les besoins humains de base et les peurs qu’ils cachent sans pour autant oublier sa propre souffrance [21]» ; le pardon est aussi un acte qui fait appel, à la fois, à la vérité morale, au refus de vengeance et à la volonté de réparer des relations brisées.

Le pardon n’est pas l’unique moyen pour parvenir à la réalisation de cette entreprise. Voilà pourquoi il est appelé à entrer en rapport avec la justice, la vérité et les réparations, afin de rompre définitivement avec la violence. Dans cette dynamique de relation, avec la justice, la vérité, les réparations et la réconciliation, il serait la chance offerte à la société pour recommencer une nouvelle relation. Il instaure une nouvelle relation qui renouvelle l’existence toute entière. Il nous libère du cycle infernal de la violence et de l’incertitude de l’avenir. Ainsi, le pardon apparaît-il comme l’acte qui possède les potentialités pour finir avec la violence et donc comme un acte que la sphère politique doit s’incorporer pour envisager des possibilités de réconciliation qui ouvrent sur un avenir serein pour le « Vivre-ensemble ». Il trouve son fondement dans la reconnaissance de la réalité des faits.

Envisager la restauration d’une société, c’est évoquer le pardon pour surmonter la violence et la mémoire de la violence pour un mieux vivre. Il s’agira pour les gouvernements de combiner le juridique et les commissions vérité et réconciliation.

III. De la réconciliation comme aspiration à la reconstruction de la société

A ce stade de notre réflexion, notre analyse portera sur la réconciliation, comme la recherche de l’unité politique. C’est dans cette optique que Monseigneur Nicodème Barrigah dira dans son dernier album, « Il n’existe pour un peuple qu’un seul chemin qui mène vers la paix : c’est la réconciliation de ses fils et filles dans la vérité, la justice, l’amour et le pardon[22] ». Aujourd’hui, la rhétorique du pardon et de la réconciliation constitue l’une des modalités pour en finir avec des années de violence et pour surmonter la mémoire des violences et des divisions au sein de la société. Dans les lignes qui suivent, nous déterminerons la nature de la réconciliation et sa contribution à la reconstruction de la société divisée par les conflits. Il s’agira d’indiquer l’apport de la réconciliation pour la création d’un renouveau des rapports sociaux.

III-1. Le sens de la réconciliation

III-1-1. Une historique de la notion de réconciliation en philosophie

Un parcours assez rapide des différents traités de philosophie politique, de la République de Platon à la politique d’Aristote, en passant par Le  prince de Machiavel au Léviathan de Thomas Hobbes, du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, aux deux Traités du gouvernement civil de John Locke, et La philosophie du droit de Hegel, montre que la notion de la réconciliation y apparaît rarement. Or, en énumérant les lois de la nature, Hobbes mentionne deux lois, « la faculté de pardonner[23] », et la « loi concernant les  médiateurs[24] ». Nous pouvons les rattacher au thème de la réconciliation. Dans La philosophie du droit, Hegel assigne à la philosophie politique une mission de réconciliation. Le terme est utilisé par Hegel dans la critique qu’il formule à l’égard de Kant sur la division que ce dernier a créée entre la liberté individuelle et le bien de l’Etat. Il s’agira pour la philosophie politique de montrer que la liberté individuelle se réalise dans l’Etat à travers des structures politiques et  économiques. Pour Hegel ce cheminement d’intégration de la liberté individuelle dans l’Etat est la réconciliation.

Pour Hobbes et Hegel, le terme « réconciliation » ne possède pas les connotations qu’il a dans les débats actuels sur la réconciliation dans les sociétés qui ont connu la violence.

La réconciliation est un thème rare dans les grands traités classiques de la philosophie  morale. Deux auteurs de la philosophie morale classique, Aristote et David Hume, ont exposé dans leurs ouvrages respectifs, Ethique à Nicomaque[25] et Enquête sur les principes de la morale[26],  les différents moyens et les vertus pour une vie heureuse dans la cité. Parmi les différentes vertus mentionnées dans le livre V de l’Ethique à Nicomaque, le mot réconciliation n’apparaît pas. Chez Hume, le thème n’apparaît pas dans le catalogue où il présente plusieurs qualités utiles pour bien vivre dans la société. D’une façon générale, la philosophie politique classique semble silencieuse sur la question. Pourquoi ce silence ? Une explication possible serait liée à la nature même de la notion, à son origine religieuse et enfin à son renvoi à des notions comme le pardon et la conversion des cœurs.

La notion de réconciliation a émergé en philosophie politique sous un éclat nouveau  en 1971, suite à la publication de l’ouvrage La théorie de la justice de John Rawls. Cet ouvrage émerge dans un monde marqué par le pluralisme religieux et culturel, ayant pour caractéristique le conflit et la violence à cause des guerres. L’un de ses objectifs, est d’éviter à la société moderne des crises et des violences. La question fondamentale de l’analyse effectuée par Rawls dans La théorie de la justice est liée à la réconciliation. Elle se formule succinctement dans le Libéralisme politique comme suit : « Comment est-il possible qu’existe et se perpétue une société juste et stable, constituée de citoyens libres et égaux, mais profondément divisés entre eux en raison de leurs doctrines, (…), incompatibles entre elles bien que raisonnables ?[27] » La réconciliation serait alors un défi pour le monde moderne. Elle n’est pas une solution, mais au contraire une question rattachée au problème du pluralisme. Or le pluralisme est un fait naturel de notre humanité. Ainsi, qu’on le veuille ou non, nous sommes, par nature, différents. Si la réconciliation est un problème, en quoi consiste alors le défi de la modernité ? Il s’agira de chercher à ce que les différences entre les hommes ne soient pas sources de conflits et de guerres. Pour Rawls, la justice est la voie royale de la réconciliation et par conséquent d’une société stable[28]. La question de la réconciliation est étroitement liée à celle de la justice. Cette dernière est le moyen de réconciliation entre les individus, les peuples ou les nations. Pour Rawls, la justice doit être la première des vertus, si l’on veut promouvoir la paix, la sécurité et le bien vivre. Ainsi, apparaît-elle comme ce qui donne confiance et garantit l’avenir dans le processus de reconstruction de la société.

Que dire alors du débat actuel sur la réconciliation, s’il est vrai que celle-ci est fille de la justice ?

III-1-2. L’actualité de la réconciliation

La réconciliation est un mot à la mode. Les nations Unies ont déclaré l’année 2009 comme année internationale de la réconciliation. De nos jours, le terme réconciliation est proche du travail de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) en Afrique du Sud. Pour plusieurs commissions aujourd’hui, l’essentiel n’est pas axé sur la justice, mais sur d’autres éléments comme le pardon et la vérité. Avec ces éléments, on se propose de reconstruire une société et de promouvoir la paix en optant pour une réconciliation sans justice. Une telle tentative en plusieurs pays a montré ses limites. C’est le cas, par exemple, de l’Afrique du Sud où, au nom de la réconciliation nationale, plusieurs victimes ont été frustrées par des décisions prises, car l’accent était porté sur le pardon et non sur la justice. Nous pouvons ajouter le débat en cours en Ouganda entre les partisans de la justice traditionnelle, axé sur la réconciliation, et les défenseurs de la justice moderne ; et enfin le cas des échecs des expériences des conférences nationales souveraines des années 90 dans plusieurs pays africains où l’accent a été mis sur la réconciliation et le pardon, en abandonnant la dimension juridique. Dix ans après ces conférences, la situation de plusieurs pays africains ayant connu cette conférence ne fait qu’empirer.

Est-il possible d’envisager une réconciliation, qui a pour moyen la justice, comme soulignée par Rawls, dans le contexte de la justice transitionnelle ? Nous entendons ici par contexte de la justice transitionnelle, les moments où des crimes et de graves violations des droits de l’homme ont été commis dans le passé.

III-2. Le pardon, une nécessité pour la réconciliation

Dans une société déchirée par les violences et les injustices, la réconciliation est un besoin urgent pour guérir les blessures et les divisions à l’intérieur de la société. Si les acteurs politiques, les victimes, les coupables et les spécialistes de la justice transitionnelle sont tous d’accord sur la réconciliation comme une porte de sortie des violences et des injustices, les moyens devant contribuer à cette réconciliation ne sont pas partagés par tous.

Pour Rawls, comme nous venons de le souligner, seule la justice doit être au fondement de la réconciliation. Mais un tel fondement est-il soutenable dans le contexte des justices de transition ?

Mgr Silvano Tomasi, observateur permanent du Saint Siège près des Nations Unies entreprend une réflexion sur l’Année internationale de la réconciliation 2009. Pour lui, « la réconciliation ne peut jaillir du néant, de rien[29] » ; toute la communauté est invitée non seulement à s’engager dans le processus de maintien de la paix, de désarmement, de promotion et de défense des droits de l’homme mais aussi, à contribuer par sa participation au processus de démocratisation. Accomplir toutes ces actions rend possible la réconciliation. La paix durable, fruit de la réconciliation, doit prendre en compte la vérité et la justice.

Dans une analyse critique, Mgr Silvano souligne que, dans la résolution des Nations Unies, il y a « un mot qui manque et qui est pourtant fondamental dans toute initiative concrète de réconciliation. Ce mot est le mot pardon qui marque la volonté de recommencer, de rétablir des relations interrompues et de regarder vers l’avenir et non en arrière[30] ». Une telle analyse de Mgr Silvano montre qu’il s’inscrit dans la longue tradition chrétienne qui affirme que le pardon peut et doit réintégrer l’homme dans la communauté. De cette manière, il rejoint le pape Jean-Paul II qui, quelques années plus tôt, dans un message à l’occasion de la journée mondiale de la paix disait : « Le pardon doit souvent accompagner la justice, sans quoi la justice rétributive risque d’enfermer les personnes dans un cycle répétitif de violence et contre violence au lieu de conduire à la réconciliation[31] ». L’idée que le pardon puisse contribuer au processus de la réconciliation n’est pas toujours partagée par les acteurs de la justice pénale. Mais l’exclure aussi dans certaines conditions empêche tout compromis pour la paix. Par exemple, en 2005, l’émission d’un mandat d’arrêt à l’encontre de Joseph Kony par la Cour Pénale Internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et enlèvements d’enfants, a poussé ce dernier à renoncer au processus de négociations de la paix. L’attitude de la CPI, déclare, l’archevêque John Baptist Odama, empêche la réalisation de la paix.[32] Une telle réaction sous-entend que, pour promouvoir la réconciliation, dans certaines conditions, il faut abandonner la recherche de la justice, au moins pour un certain temps. Ceci ne signifie pas pour autant que l’abandon de la justice soit toujours la condition sine qua non pour une réconciliation. Si cela était le cas, on ne parlerait pas de l’échec du processus en Chili où au nom de la réconciliation nationale, les autorités politiques et militaires ont été amnistiées après la violation des droits de l’homme[33].

Comme nous venons de le souligner, la réconciliation, pour beaucoup, est une condition pour sortir des conflits et pour reconstruire le tissu social. Cependant, les moyens qui doivent conduire à la réconciliation ne sont pas partagés par tous. Pour certains, comme Rawls, seule la justice doit être au fondement de la réconciliation et, pour d’autres, il faut concilier le pardon et la justice et, dans certaines conditions, abandonner la justice pour la reconstruction du tissu social. Il convient ici de préciser la contribution de la réconciliation pour mettre fin à la violence et pour construire véritablement une paix durable.        

III-3. La réconciliation comme un moyen de reconstruction de la société

Evoquer la réconciliation comme un moyen de reconstruction de la société, conduit à relever plusieurs défis, surtout dans le cadre de la justice transitionnelle.

III-3-1. Les défis dans le processus de la réconciliation

L’un des premiers défis auquel on est confronté est né de l’expérience sud-africaine. Il concerne le rapport étroit entre la réconciliation d’une part et le pardon des fautes du passé d’autre part. Le pardon, avec ses antécédents théologiques, est attendu de la part des victimes qui portent en elles les souffrances et les conséquences des injustices de l’apartheid. Cette attente a placé sur les épaules des victimes un lourd fardeau, celui de la réconciliation nationale, car la réconciliation dépendait de leur aptitude à pardonner aux criminels.

Le second défi dans le processus de la réconciliation est lié à l’exploitation idéologique du discours de la réconciliation. On évoque souvent la réconciliation comme un retour à la situation stable du passé ; en d’autres termes, il s’agirait d’un retour à la situation pré-conflictuelle, avant la violation des droits de l’homme. Cependant, nous pouvons nous interroger sur l’efficacité d’une telle conception rétrospective dans le contexte des divisions sociales entre les peuples indigènes et les colons, où le retour en arrière ne serait rien d’autre que la confirmation des inégalités.

La quête de la réconciliation « requiert, non l’écrasement d’un groupe par un autre, mais une volonté de communauté, de complémentarité, de revalorisation et de promotion mutuelles[34] » ; en d’autres termes aucune action négative qui puisse détruire la dignité humaine ne conduit à la réconciliation.

III-3-2. De la réconciliation comme acte politique de reconstruction

            L’homme, dit-on, est créé pour le bonheur. Ce désir du bonheur le pousse, dans les situations conflictuelles, à la réconciliation pour s’assurer la paix. En effet, l’homme ne peut pas supporter de façon permanente l’état conflictuel et la guerre, car cela s’oppose à ses aspirations profondes.

Pour Cyrille Koné, à la suite des conflits au sein de la société, la réconciliation apparaît comme « une action politique de reconstruction[35] ». Il s’agit d’une action raisonnable qui devrait conduire à la reconstitution de la société divisée. Cette action est fondée sur une quête de l’unité et de l’équilibre social stable. Pour y parvenir, la réconciliation doit rompre avec le mode de vie violent. La réconciliation serait dans un tel épisode, un « projet politique qui veut la perpétuité de l’Etat ». Ainsi, l’œuvre de la réconciliation consisterait à créer dans la cité, des conditions qui rendent la vie possible et qui conduisent l’homme à se réaliser pleinement. L’homme conçu comme un animal politique par Aristote, ne peut se réaliser en dehors de la cité. L’organisation de la cité demeure le lieu de la pleine réalisation de l’homme et de son épanouissement.

S’inspirant d’Aristote sur la nécessité de la cité pour l’épanouissement de l’homme, Cyrille Koné fera la promotion d’un style de vie collectif dans le processus de la réconciliation. Ce style de vie doit corriger les effets négatifs du dérèglement de la paix par une organisation de la sortie de conflit en vue de revivre en communauté. La refondation de la cité selon C. Koné requiert une organisation qui mette en place les valeurs et les institutions, en vue d’un meilleur ordre. Pour y aboutir, cette institution doit privilégier une « forme de vie sociale fondée sur l’égalité, la liberté et le respect de la loi, qui favorise le vivre-ensemble[36] ». Dans cette perspective, la réconciliation doit avoir pour fondement « l’amour raisonnable de la cité[37] ». Elle ne peut être fille de l’intérêt partisan, ni d’une volonté individuelle. Au cas où elle devrait reposer sur un intérêt, il faut que ce soit celui de tous.

Il ne faut pas se tromper : la réconciliation comme acte politique, malgré sa bonne volonté de satisfaire tous les protagonistes, n’en a pas les moyens. Dans cette condition elle visera l’intérêt du plus grand nombre. Mais une telle attitude rend les résultats du processus de reconstruction mitigés. La paix à laquelle on aboutit peut chanceler à tout moment, car les intérêts qui ne sont pas pris en compte peuvent paraître comme des injustices.  Cette injustice crée au niveau individuel des sentiments d’injustice. Ainsi les accords échouent, car ils ne sont pas arrivés à vider la rancune et le désir de vengeance des cœurs. Le processus de la réconciliation « fabrique contre son projet initial, des citoyens aigris, frustrés et désespérés du rendez-vous manqué qui devait permettre à la cité d’être à l’unisson.[38] »

III-3-3. De la réconciliation nationale

            Le recours à l’expérience politique du pardon et de la réconciliation, dans les processus de reconstruction nationale, traduit la quête de l’unité de la nation par les acteurs politiques. Ce recours est à la fois une urgence et une nécessité pour plusieurs pays africains comme le Togo. Il est essentiel, nous dit Robert Dussey, car depuis l’instauration de la démocratie, l’équilibre antérieur est remis en question et l’environnement économique n’est pas si favorable ; et il est urgent, car sur tout le continent, les guerres et les crises font des ravages[39]. Il s’agit ici de créer ou de recréer la cohésion et la coexistence pacifique nationale après des années de violence. Cependant, le processus de réconciliation nationale soulève le problème des enjeux de la réconciliation. Quel est l’objectif d’une démarche nationale de réconciliation ? Est-ce que c’est pour grâcier les auteurs des violences ? Est-ce pour donner de nouveaux fondements à l’Etat ?

La réconciliation vise d’abord la cessation de la violence et elle est « le but ultime de la justice transitionnelle [qui] ne se fait pas hors de tout contexte, hors de l’histoire [40]». Elle est une quête de stabilité politique et nationale. Elle prépare un nouveau cadre de vie pour un mieux vivre-ensemble. Elle est guidée par l’intérêt commun. Elle ne vise pas uniquement la paix, mais le bonheur de tous. Ce bonheur doit être le fruit d’un consensus qui conduira à la sortie du conflit. La recherche du consensus vise à canaliser et à dompter les énergies, à maîtriser les conflits en sauvegardant l’unité nationale, la paix sociale et la stabilité politique.

Pour que la réconciliation puisse être vécue comme des retrouvailles des membres d’une nation divisée, elle doit reconnaître ses malheurs, l’origine de son mal et créer un sentiment de  résistance à la vengeance. Il faut arriver à voir en l’autre un prochain et se laisser interpeller par son visage. Comme le souligne E. Levinas, le visage de l’autre me parle : « Autrui est visage, mais autrui, également me parle et je lui parle[41] ». Il faut que « la personne humaine [soit] le sujet central du développement, en érigeant la participation libre et active, au rang de principe fondamental de la démocratie (…), il sera possible de relever l’ensemble des défis qui jalonnent le chemin de la réconciliation [42]». Le processus doit surtout créer et donner des horizons d’espoir et  respecter les droits dans la cité refondée.

Dans le cadre de la réconciliation, la réforme des régimes est une nécessité dans la transformation de l’ordre social. Transformer suppose une réforme radicale. La disparition de l’ancien régime est la condition de création d’un nouveau pays comme ce fut le cas en Afrique du Sud. Il faudrait également rénover et rectifier les lois qui ont pu conduire à la violence et d’autres qui sont susceptibles de conduire à un nouveau conflit. La nouvelle nation doit être artisane de la justice, de la paix, de la liberté et du respect de la vie de l’homme. L’objectif poursuivi par les acteurs de la réconciliation est noble et favorise l’épanouissement de la cité. Ainsi la réconciliation nationale est-elle utile et nécessaire pour un mieux vivre-ensemble.

 

Maintenir la société dans le cadre d’un processus de réconciliation, suppose qu’on mette un terme au conflit et à l’ordre politique qui y a contribué. L’apaisement des victimes naîtra uniquement de l’apparition d’un nouvel ordre social qui s’engage au service de la vérité, de la justice, de la solidarité et du respect de la vie. L’ordre nouveau doit être issu d’un consensus afin de changer la situation nationale.

 

 

 

 

 

Conclusion

Sortir de la violence, surtout après la chute du mur de Berlin a poussé à réclamer la démocratie, parce qu’elle tend à finir avec la haine et le désir de vengeance qui divise les citoyens. Dans cette perspective de démocratisation, nous avons analysé les notions de pardon et de réconciliation comme des facteurs de construction de la société. Notre analyse s’inspire de l’actualité dramatique du 20ème siècle qui oblige à poser les questions suivantes : le pardon, malgré son origine religieuse, peut-il ou/et doit-il avoir une traduction politique ? Si une telle transposition est possible, le prix à payer ne risque-t-il pas d’être lourd, si l’on doit aboutir à une trahison de sa nature essentielle ?  Et si l’on admet la transposition, quelles conditions faut-il poser pour éviter de tels affaissements?   Dans notre étude, nous avons été confrontés à ces questions : le pardon est-il possible devant l’impardonnable ? La réconciliation est-elle envisageable quand la haine ronge les hommes et quand le désir de vengeance et les intérêts individuels priment sur le vivre-ensemble ? Toute réponse négative à ces questions, ne constituerait-elle pas une privation des moyens pour surmonter les offenses et ouvrir un avenir viable qui prend en compte le bien collectif comme le suggère toute tentative de réconciliation nationale ?

Notre analyse a été articulée autour de trois axes. Nous avons, dans notre première articulation, cherché les fondements du pardon, fondements qui nous ont permis d’introduire le pardon dans les débats philosophiques et de présenter les difficultés auxquelles on est confronté quand on nous demande pardon ou quand nous devons pardonner. Nous avons ainsi analysé l’opposition irréductible et aporétique entre le pardon et l’impardonnable, car le pardon n’est véritable que quand on est en face d’un impardonnable. Malgré la conceptualisation de la notion, celle-ci est, avant tout, une démarche et une parole qui nous révèlent la capacité de l’homme à donner encore et malgré tout, gratuitement. Pardonner, c’est faire le choix éthique de la confiance. La parole qui pardonne et celle qui demande pardon nous indiquent le mystère d’une liberté humaine en quête du bonheur et de la plénitude d’une vie heureuse. Notre seconde articulation a porté sur la contribution du pardon pour sortir de la violence politique, en d’autres termes, comment le pardon contribue-t-il à la réalisation du bonheur de l’homme ? Quelle relation est-il possible d’envisager entre pardon et politique tout en sachant que la politique aussi a pour objectif la réalisation de l’homme et l’épanouissement de tous les hommes dans une cité paisible qui tient compte de la justice, de la solidarité et du respect de la vie ? Ces questions nous ont conduit à présenter le pardon comme moyen de restauration d’une société. Ainsi, pour surmonter la violence et la mémoire de la violence, nous avons évoqué le pardon pour mieux vivre dans la cité. Il s’agira pour les gouvernements de combiner le juridique et les commissions vérité et réconciliation. Dans la troisième et dernière articulation, nous avons abordé la notion de la réconciliation comme un facteur de reconstruction de la société déchirée par la violence et le désir de vengeance. La réconciliation dans cette optique n’est pas seulement un retour à l’équilibre post conflictuel, mais la création d’une nouvelle société avec un nouvel ordre qui permet de mener une vie bonne dans la cité. Pour cela, elle doit faire l’unité de la cité autour d’un consensus en tenant compte de l’intérêt général, de la justice, du pardon et de la solidarité en prônant le respect de la vie ; et enfin elle doit faire naître un ordre nouveau sur des bases qui corrigent, améliorent et suppriment les lois qui ont conduit aux crises.

Remarquons que les débats actuels sur le pardon et la réconciliation oublient trop la quotidienneté et la possibilité effective de ces notions que proclame l’Evangile où H. Arendt a tiré l’origine du pardon, car la possibilité du pardon et l’idée de reconstruction sociale sont envisagées à partir de ces cas limites qui ne sont rien d’autre que l’impardonnable ou l’imprescriptible. La dramatisation qui en résulte voile alors à l’esprit que c’est aussi, jour après jour, dans le couple, avec son voisin, entre frères, au sein même d’une communauté ou de la nation, que des gestes simples de pardon et de réconciliation sont possibles et nécessaires. On ne se rallie pas alors à un concept pur, mais on se parle de visage à visage, de frère à frère, pour nouer des relations neuves.

En définitive, nous pensons que l’intégration et la revalorisation du pardon et de la réconciliation dans le système éducatif permettront, dans une certaine mesure, de consolider les liens entre les peuples, d’éduquer la société à accepter et à intégrer la différence qui est souvent source de conflit. Par conséquent, les responsables du nouvel ordre social créé par consensus doivent promouvoir la culture du pardon, car la réconciliation finale exige l’instauration d’un climat de pardon et la guérison des blessures pour un mieux vivre-ensemble.

Ce travail ne saurait être conclu, car notre conclusion marque ici uniquement une pause qui fait le point et invite à plus d’attention dans la vie quotidienne car « le pardon reste un chemin largement inexploré du champ de la politique et des relations internationales[43] ». Il s’agit d’un visiteur étranger qui postule pour une place centrale sur la scène politique.

Bibliographie

Ouvrages consultés

- ABEL, Olivier, Le pardon, briser la dette et l’oubli, Autrement, Paris, Avril 1991, 238p.

- ARENDT, Hannah, Condition de l’homme moderne, collection Agora, trad. Georges Fradier, Calmann-Lévy, France, Octobre 2005, 406p.

- BOLE, William; CHRISTIANSEN,  Drew; HENNEMEYER, Robert, Le pardon en politique internationale, un autre chemin vers la paix, trad. Monique Berry, Nouveaux horizons, Paris, 2007, 194p.  

- BRECHON, Robert, La condition humaine d’André Malraux, Hachette, 1972, 96p.

- CASSIN, Barbara, Vérité, réconciliation, réparation, le genre humain, Seuil, Paris, 2004, 365p.

- DERRIDA, Jacques, Foi et Savoir suivi de Le siècle et le pardon, Seuil, Paris, 2001, 133p.

- DUSSEY, Robert, Penser la réconciliation au Togo, Bognini, Abidjan, 2003, 132p.

- LEVINAS, Emmanuel, Ethique et infini, Fayard/France culture, 1982, 121p.

- HELMICK Raymond, et PETERSEN, Rodney, Forgiveness and Reconciliation, Templeton Foundation Press, Philadelphia & London, 2001, 450p.

- HOBBES, Thomas, Le citoyen ou les fondements de la politique, Flammarion, Paris, 1982, 408p.

JANKELEVITCH, Vladimir, L’Imprescriptible Pardonner ? Dans l’honneur et la dignité, Seuil, Paris, 1986, 104p.

- JANKELEVITCH, Vladimir, Philosophie morale, Flammarion,  Paris,  1998,  Collection mille et une pages, 1173p.

- JEFFREY, Denis, Rompre avec la vengeance, Les presses de l’université de Laval, Québec, 2000, 143p.

- Le pardon : actes du colloque organisé par le centre Histoire des idées, Université de Dicardie, Michel Perrin, Beauchesne,1987, 318p.

- LEFRANC, Sandrine Politique du pardon, Presse Universitaire de France, Paris, 2002, 363p.

- LHOTE, André Marie,  La notion de pardon chez Kierkegaard ou Kierkegaard lecteur de l’épître aux romains, Vrin, Paris, 1983, 143p.

- MONBOURQUETTE, Jean, Comment pardonner ?,  Novalis/Centurion, Ottawa/Paris, 1992, 256p.

- MONBOURQUETTE, Jean, Demander pardon sans s’humilier?, Novalis/ Bayard, Ottawa, 2004, 168p.

- O’LEARY, Sean, Pour vivre la réconciliation, collection ‘’Questions sociales’’ Lumuko, Afrique du Sud, 2001, 109p.

- RAWLS, John,  Libéralisme politique, trad. Catherine Audard, Quadrige/PUF, Paris, 2002, 271p.

- RICŒUR, Paul, La mémoire l’histoire et l’oubli, Seuil, Paris, 2000, 656p.

- SCHREITER, Robert, The Ministry of Reconciliation, Orbis books, New York, 1998, 136p.

- TUTU, Desmund Mpito, Il n’y a pas d’avenir sans pardon, Albin Michel, Paris, 2002, 254p.

 

Revues consultées :

- Concilium n° 204, Le pardon, beauchesne, Paris, 1986, 134p.

- Débats courrier d’Afrique de l’Ouest, n° 18, Septembre-Octobre 2004

- Débats courrier d’Afrique de l’Ouest, n° 32, février 2006

- Politique Africaine n°92, Justice et réconciliation : ambiguïtés et impensés, Kathala, Paris, Décembre 2003, 206p.

- Revue internationale de philosophie, Le cahier philosophique d’Afrique, n°006,  PUO, 2008, 193p.

- Spiritus, Pardon et réconciliation, n° 162, Mars 2001, 116p.

 

Sites consultés

- http://www.canalacademie.com/ida4250-Le-pardon-dans-la-Torah-et-la.html, le pardon dans la tradition juive, 12 mai 2010

- http://www.zenit.org/article-21683?l=french, Le pardon, une étape obligée pour arriver à la réconciliation, 17 Septembre 2010

 

 

 

 

 

Table des matières

Introduction. 2

I. Les fondements du pardon et l’aporie du pardon et de l’impardonnable. 4

I-1 Les fondements du pardon. 4

I-2 Les apories du pardon et de l’impardonnable. 5

I-2-1. L’exigence du pardon face à l’impardonnable. 5

I-2-1-1. Du pardon et de l’impardonnable. 5

I-2-1-2. Un cercle aporétique. 7

I-2-2. Les difficultés d’assigner des limites et des conditions au pardon. 8

I-2-2-1.Les difficultés d’une définition objective de l’impardonnable. 8

I-2-2-2. L’idée de l’impardonnable. 10

I-2-3. Le pardon comme la réponse à l’impardonnable. 10

I-2-3-1. Dimension absolue et inconditionnée du pardon. 11

I-2-3-2. Le pardon ou l’avènement d’un futur en rupture avec le passé. 11

II. Le pardon comme moyen de sortie de la violence. 12

II-1. L’aporétique du vrai  pardon. 12

II-1-1. De l’impossibilité du vrai pardon en politique. 13

II-1-2. De l’impossibilité à la nécessité du pardon politique. 14

II-2. De la violence politique et du pardon de puissance. 17

II-2-1. Le pardon pour sortir de la violence politique. 17

II-2-2. Le pardon comme une interruption de la violence. 17

III. De la réconciliation comme aspiration à la reconstruction de la société. 18

III-1. Le sens de la réconciliation. 19

III-1-1. Une historique de la notion de réconciliation en philosophie. 19

III-1-2. L’actualité de la réconciliation. 20

III-2. Le pardon, une nécessité pour la réconciliation. 21

III-3. La réconciliation comme un moyen de reconstruction de la société. 23

III-3-1. Les défis dans le processus de la réconciliation. 23

III-3-2. De la réconciliation comme acte politique de reconstruction. 24

III-3-3. De la réconciliation nationale. 25

Conclusion. 27

Bibliographie. 29

Table des matières. 31

 


[1] Olivier, Abel, le pardon, briser la dette et l’oubli, éditions Autrement, série Morales n°4, Paris, 1991, p 10.

[2]  Hannah, Arendt, la condition de l’homme moderne, Presse-Pocket, Paris, 1992, p. 305.

[3] Ceci est dit clairement en Luc 5, 21-24 ; Jésus accomplit un miracle pour montrer que « le Fils de l’Homme à le pouvoir de pardonner les péchés ».

[4]  Hannah Arendt, condition de l’homme moderne, p. 305.

 

[5] Armand Abécassis, « l’acte de mémoire », in Olivier Abel (sous la direction), Le pardon briser la dette et l’oubli, Paris, éd. Points, 1998, Séries morales essais n° 63, p. 165.

[6] Id., 169.

[7]  Hannah, Arendt, Condition de l’homme moderne, Presse-Pocket, Paris, 1992, collection Agora, P.307.

[8] Vladimir, Jankélévitch,  philosophie morale, Flammarion, Paris,  1998,  Collection mille et une pages, P. 1143.

[9] Id., P. 1143.

[10] Un crime métaphysique est un crime perpétré contre l’essence même de l’homme, une pure méchanceté  qui ne pourrait être pardonnée.

[11] Vladimir, Jankélévitch, philosophie morale, Flammarion,  Paris,  1998,  Collection mille et une pages, p. 1142.

[12] Vladimir, Jankélévitch, L’imprescriptible, Pardonner ? Dans l’honneur de la dignité, Seuil, Paris, 1986,   p. 47.

[13] Pardonner serait une manière d’honorer la mémoire des victimes se justifie quand il s’agit de la lutte pour une cause. Et pour cette cause plusieurs personnes ont perdu la vie. Si pardonner, est ce sans quoi la réalisation de cette cause n’adviendrait pas, pour les survivants qui souffrent encore, ils conviendraient de pardonner pour que la disparition de leurs frères de lutte ne soit pas vaine.

[14] Aude-Marie Lhote, la notion de pardon chez Kierkegaard, Vrin, Paris, 1983, 143p.

[15] Mgr Nicodème Barrigah dans un documentaire à la TVT (Télévision Togolaise) sur le but de la justice transitionnelle au Togo. Mercredi 29 Décembre 2010.

[16] Jacques Derrida, « le siècle du pardon » in  Foi et Savoir, édition du Seuil, Paris, 2000, p. 19.

[17] Id. p. 19.

[18]  Thomas, Hobbes, Le Citoyen ou les fondements de la politique, Flammarion, Paris, 1982, p. 93.

[19] Hannah, Arendt, Condition de l’homme moderne, Presse-Pocket, Paris, 1992, collection Agora, p. 225.

[20] William, Bole; Drew, Christiansen ; Robert, Hennemeyer, le pardon en politique internationale, un autre chemin vers la paix, trad. Monique Berry, Nouveaux horizons, Paris, 2007, p. 35.

 

[21] Op. cit., William, Bole; Drew, Christiansen; Robert, Hennemeyer, p. 44.

[22] Mgr Nicodème, Barrigah, Ô Mon Pays.

[23]  Thomas Hobbes, Le Citoyen ou les fondements de la politique, Flammarion, Paris, 1982, p. 118.

[24] Idem, p. 122.

[25] Aristote, Ethique à Nicomaque, traduit par J. Voiliquin, Garnier-Flammarion, Paris, 1965, 310p.

[26] David Hume, Enquête sur les principes de la morale, Aubier Montaigne, Paris, 1751, 256p.

[27] John Rawls, Libéralisme politique, Presse Universitaire de France, Paris, 1995, P. 6.

[28] Idem, p. 48.

[29] Mgr Silvano M. Tomasi, « Réconciliation : l’expérience de l’Eglise catholique » in Observatoire international Cardinal Van Thuân,  http://www.zenit.org/article-21683?l=french, ZF09072702 – 27-07-2009.

[30] Idem.

[31] Jean-Paul II, Message pour la journée mondiale de la paix, 1er janvier 2002, « il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon », n° 9.

[32] Sunday Monitor (Kampala, Uganda), in Kashia Philip Apulia, The ICC Arrest Warrants for the Lord’s Resistance Army Leaders and Peace Prospects for Northern Uganda  Journal of international criminal Justice 4, 2006, p. 185.

[33] Voir Stephen Pope, « The convergence of forgiveness and justice: Lessons from El Salvador » in theological studies 64, pp. 812-835.

[34] Robert, Dussey, Penser la réconciliation au Togo, Bognini, Abidjan, Mars 2003, p. 29.

[35] Cyrille, Koné, « réconciliation et sortie de conflit » in le cahier philosophique d’Afrique, Presse universitaire de Ouagadougou, Ouagadougou, 2008, n° 006, p.37.

[36] Op. cit,  p. 37.

[37] Idem, p. 38.

[38] Idem, p. 39

[39] Op. cit., Robert, Dussey, pp. 26-27.

[40] Politique Africaine n° 92, Justice et réconciliation : ambiguïtés, Karthala, Paris, Décembre 2003, p. 16

[41] Emmanuel, Levinas, Ethique et infini, Fayard/France culture, 1982, p. 81

[42] Op. cit,  Robert, Dussey, pp. 64-65.

[43] Bole, William; Christiansen,  Drew ; Hennemeyer, Robert, le pardon en politique internationale, un autre chemin vers la paix, p. 38.

Origine de la société civile chez Thomas Hobbes

Classé dans : Philosophie politique — 23 janvier, 2011 @ 9:43

           Le texte « Etat de nature et état politique » soumis à notre étude est extrait de l’oeuvre Citoyen de Thomas HOBBES, Le citoyen ou les fondements de la politique. Ce livre traite de la question de l’origine de la société civile. Pour Hobbes, les origines de la société civile se trouvent dans la crainte réciproque entre les hommes. Etudiant les avantages de l’état de nature et de l’état politique, Hobbes penche pour l’état politique. Si le thème ici abordé est la comparaison entre l’état de nature et l’état politique, le problème soulevé est celui-ci : de l’état de nature et de l’état politique lequel offre plus d’avantages ? Quel état pour le bonheur de l’homme ? Ce problème se dessine en filigrane derrière un questionnement du texte. L’idée directrice peut être résumée comme suit : hors de l’état politique, c’est la guerre, tandis qu’a l’état politique, c’est la paix pour tous. Les enjeux philosophiques de ce texte sont multiples : il rompt avec la tradition philosophique qui prône que, par nature, l’homme est porté à la vie en société. Comme Machiavel, Hobbes s’inscrit dans un réalisme politique.

            Les paragraphes du texte constituent l’argumentation comparative de Hobbes. Pour notre analyse nous suivrons la présentation de l’auteur en vue de comprendre sa position. Cette analyse constituera notre première partie et elle sera une explication du texte. Ensuite, critiquerons la pensée de l’auteur et, en guise de conclusion, nous dégagerons une actualisation de la pensée de l’auteur.     

 

 

            Dans le souci de répondre à la question de savoir quel état pour l’homme en vue de son épanouissement, Hobbes entreprend une étude comparative entre l’état de nature et l’état politique dans son ouvrage, le citoyen. Mais qu’entend il par état de nature et état politique ?

            L’état de nature est l’état des hommes n’ayant entre eux d’autre lien que leur qualité commune d’être des êtres humains, chacun étant libre et égal à tous. Ainsi les hommes apparaissent comme ayant un penchant naturel violent et destructeur envers leurs semblables. De fait, chaque homme est la proie d’un autre homme, neutralisant chez chacun tout espoir de progrès. Selon cette vision « L’homme est un loup pour l’homme »,  d’où la nécessité d’un état politique. L’état politique est encore appelé société civile caractérisée par une organisation juridique des individus rassemblés par un contrat. L’état de société est rendu nécessaire par l’insécurité de l’état de nature. Le contrat social qui fonde l’état de société est un contrat de soumission. Hobbes refuse de distinguer l’association et la soumission. Pour lui, la seule façon de s’unir, c’est de se soumettre à un tiers. Les deux caractéristiques du contrat selon Hobbes sont le fait que la soumission doit être totale et le fait que le maître lui-même ne soit pas lié par ce contrat ; ainsi son pouvoir est-il absolu.

            Dans son premier paragraphe, il analyse la question de la liberté dans chacun des états. A l’état de nature cette liberté est totale, en ce sens que chacun à droit à tout ce qu’il veut. Tous les moyens sont bons pour l’acquérir. Notre liberté devient alors infructueuse car toutes nos possessions sont éphémères ; en effet, quand vient un plus fort il s’accapare de tout. Or, dans la société civile, nul ne peut se rendre justice. Chacun jouit de la liberté qu’il faut pour vivre paisiblement et pour profiter de son droit. Chaque membre de la société vit en sécurité sans n’avoir rien à craindre ; ses biens sont protégés et il peut jouir parfaitement de son droit.

            Dans le deuxième paragraphe, Hobbes évoque l’idée de droit dans chacun des états. En terme de droit, à l’état de nature, chacun à le droit sur tout, mais en fait il n’a aucun droit même pas le droit de vivre. Dans l’état politique, tous les individus jouissent d’un droit particulier qui permet d’avoir une possession à soi et d’être sûr que personne ne viendra la lui l’arracher.

            Le troisième paragraphe fait cas de la vie proprement dite et de la protection. Hobbes y présente l’état de nature comme un lieu où règnent les violences de toute sorte ; nul n’y est en sécurité. Dans la société civile, cette puissance d’action des hommes est confiée à un seul. Ainsi, personne ne peut faire violence à son prochain, car, par le contrat, il renonce à se faire justice. Malgré ce renoncement, devant un danger l’individu n’est pas abandonné ; il est soutenu par les autres pour affronter le danger. A l’état de nature, devant un danger, chacun est livré à ses propres moyens de défenses et n’a pas le secours de ses concitoyens.

            Dans le quatrième paragraphe, Hobbes aborde la question de l’habileté et du travail effectué par chacun. A l’état de nature, cette habileté et les actions accomplies n’apportent rien et sont sans aucune importance, tandis que, dans la société cela permet d’avoir ce dont on a besoin pour une vie assez heureuse.

            Le cinquième et dernier paragraphe, est une récapitulation des quatre premiers. Il dégage les caractéristiques de chacune des états. Dans l’état de nature, l’homme est livré à ses passions, à son désir d’affirmer sa force, il vit dans la solitude, dans la misère, dans l’ignorance et dans la brutalité qui lui ôte le goût de la douceur de la vie. L’ordre établit grâce au contrat assure la paix et la sécurité. Ainsi foisonnent les richesses. Les conversations naissent et l’on découvre combien il est bien d’échanger quelques mots et quelques expériences. Les sciences se développent grâce aux discutions. La vie n’est plus régie par l’ignorance, mais par des lois de l’amitié.

 

            Hobbes rompt avec la tradition philosophique, pour laquelle l’homme est naturellement porté à la vie en société. Il est un animal politique, selon Aristote, et c’est cette sociabilité instinctive qui est l’origine des sociétés. La rupture s’introduit par le fait, que pour Hobbes, ce n’est pas l’inclinaison vers l’autre mais, la crainte de l’autre, le désir de sécurité, et la recherche tout égocentriste de l’honneur et de l’utilité qui sont les causes pour lesquelles les hommes s’assemblent. Avant Hobbes, la plupart des écrits touchant les républiques supposent que l’homme est un animal politique ζωον πολιτιχόν, c’est-à-dire né avec une certaine disposition naturelle à vivre en société. Sur ce fondement-là, ils bâtissent la doctrine civile, de sorte que, pour la conservation de la paix et pour la conduite de la société, il ne faut plus rien, sinon que les hommes s’accordent et conviennent de l’observation de certains pactes auxquels ils donnent le nom de lois.

            De fait, Hobbes à une vision négative de l’homme. Cette vision est appuyée par l’analyse de Freud, selon lequel « l’homme n’est pas un être doux ». Au contraire il porte naturellement en lui la violence qui empêche la paix sociale et, avec elle, toute prospérité. On rencontre ainsi la problématique de « l’insociable sociabilité des hommes » formulée par Kant, et selon laquelle les hommes ont une « inclination à entrer en société, inclination qui est cependant doublée d’une répulsion générale à le faire, menaçant constamment de désagréger cette société ». Hobbes est conscient de cette contradiction intrinsèque, puisqu’il neutralise par avance toute volonté de retour à l’indépendance naturelle par l’engagement extrêmement fort à la base de son contrat social.   

            Plusieurs penseurs ont également imaginé une façon de garantir une société pacifique et stable. Parmi eux, on distingue Locke et Rousseau.

            Locke, au contraire de Hobbes, est un des premiers penseurs du libéralisme. Dans ses trois Essais sur le gouvernement civil, il expose une version nouvelle de la doctrine contractuelle de l’état. Mais Locke partage avec Hobbes deux soucis : garantir la sécurité et préserver la propriété. Pour Locke, l’état de nature est un état d’harmonie et de liberté raisonnable. L’homme à l’état de nature jouit de deux pouvoirs et d’un droit fondamental : le pouvoir d’assurer sa propre conservation, le pouvoir de punir quiconque menace sa vie et le droit fondamental de propriété limitée à ce qui est nécessaire à sa conservation. Alors Pourquoi former une société si l’état de nature n’est pas un « horrible état de guerre« , comme le pensait Hobbes? Il manque à l’état de nature la garantie de l’ordre et du bonheur, autrement dit la garantie de la sécurité. Comment se fait le passage de l’état de nature à l’état de société? Par consentement mutuel. Mais, contrairement à Hobbes, Locke pense que nul gouvernement légitime ne saurait être un gouvernement absolu. En effet, nul homme ne serait assez fou pour consentir à abandonner tous ses droits, sinon l’état de société serait pire que l’état de nature. Selon Locke, les hommes entrent donc dans l’état civil par un contrat d’association par consentement mutuel et un contrat de soumission conditionnel. Le contrat de soumission au gouvernement est dissout dès que la majorité considère que ce gouvernement est incapable d’assurer la sécurité. Quel est le point de vue Rousseau sur la question de l’état de nature et de l’état politique ? La théorie de Locke porte en germe les principes de la démocratie libérale du XIXe siècle. Rousseau sera fortement influencé par la philosophie politique de Locke. Ils ont les mêmes préoccupations et leurs deux théories du contrat social reposent sur le même postulat : l’harmonie naturelle des volontés et des intérêts des individus. Ce postulat indémontrable est celui de l’individualisme libéral et de la démocratie. Sans s’accorder à Hobbes, Locke et Rousseau ne s’accordent pas cependant sur leur conception du contrat lui-même, c’est-à-dire sur les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre leur idéal politique. Il y a eu beaucoup de malentendus concernant cette notion d’état de nature chez Rousseau. L’homme à l’état de nature n’est pas pour Rousseau l’homme originel historiquement parlant. L’homme à l’état de nature n’est pas le « bon sauvage ». Il n’a jamais été question pour Rousseau de prôner un retour à l’état de nature, et ce pour deux raisons : la première est que cela n’aurait pas de sens de retourner à un état qui n’a jamais existé; la deuxième est que l’homme à l’état de nature pour Rousseau n’est pas l’homme parfait, mais qui n’a pas encore développé son potentiel. L’état de nature de Rousseau n’est donc ni le produit d’une recherche des origines historiques de l’humanité ni le produit de l’imagination mais un modèle théorique. Ce modèle théorique est obtenu par analyse de l’état présent. Il s’agit de dégager par analyse ce qui, dans les hommes tels qu’ils sont, revient à leur nature et ce qui revient à leur vie sociale. Autrement dit, l’état de nature est le naturel en chaque homme. Le libre contrat social de Rousseau, à première vue, se rapproche pourtant de celui de Hobbes. En effet, il demande comme lui que les citoyens cèdent librement tous leurs droits naturels au profit du souverain, celui-ci exerçant la volonté générale dans laquelle se reconnaissent tous les membres du corps social, unis par un intérêt commun. On reconnaît là, la volonté commune, composée de toutes les volontés particulières, appliquée par l’Etat de Hobbes dont le pouvoir est composé lui aussi de tous les pouvoirs particuliers qui lui ont été cédés. Mais ce contrat n’est pas, au contraire de Hobbes, une transaction de chacun à chacun au profit d’un tiers, mais plutôt un pacte que chacun conclut avec la communauté toute entière dont il devient membre. Ainsi chaque individu, en s’abandonnant totalement à la communauté, donc à tous, ne se donne à personne. Si, chez Hobbes, les volontés ont été transférées à l’Etat et que les citoyens ne participent pas à l’élaboration des lois, chez Rousseau, la volonté générale ne peut se transmettre, ni son exercice être délégué. C’est là l’opposition principale entre Hobbes et Rousseau, et la principale faille du contrat social de Hobbes. Si tous les gens du peuple se lient irrémédiablement à leur souverain, lui ne passe aucun contrat avec eux.

 

 

            Au-delà de la question de savoir quel état pour le bonheur de l’homme que Hobbes étudie à travers une analyse comparative de l’état de nature et de l’état politique, il ressort, de façon implicite, la question du fondement même du contrat social, qui régit l’entrée dans la société. L’analyse de Hobbes est très réaliste. Bien que présentant quelques limites, il élabore un nouveau fondement de la vie en société en opposition à toute la tradition philosophique. Il sera rejoint dans son analyse par d’autres auteurs comme Freud et Kant sur l’idée de l’homme à l’état de nature. D’autres auteurs, comme Locke et Rousseau, étudieront la même question, mais ils se démarqueront de Hobbes sur plusieurs points. Cependant on ne pourra pas se méprendre sur la valeur de son analyse qui ouvre de nouvel horizon en philosophie politique. 

      Jean-Baptiste TODJRO

todjrokomlan2@yahoo.fr

 

           

 

Dieu et la souffrance des innocents

Classé dans : théodicée — 23 janvier, 2011 @ 9:32

Introduction 

De nos jours, l’objection la plus fréquente et la plus forte contre l’existence de Dieu est l’existence du mal. Certaines formes d’objection peuvent procéder d’un sentiment authentique de justice, heurté par l’utilisation de Dieu pour cautionner l’ordre établi. Cette objection peut naître aussi d’un sens aigu de la souffrance, du mal et du scandale que cela peut causer. Certes le mal habite le monde et cela est une évidence qu’aucun vivant n’ignore et ne peut aucunement nier. Même le tout petit qui entre dans la vie en fait cette expérience de la souffrance qu’il traduit par son cri. Mal et souffrance accompagnent toute vie terrestre jusqu’à la mort qui apparaît comme le mal par excellence. Pourtant, malgré ces objections contre Dieu, çà et là, on rencontre dans certaines cultures l’acceptation du mal et on ne l’attribue pas à Dieu ; cela ne constitue pas une objection contre Dieu. Ces cultures, en général, ne sont pas entrées en contact avec le christianisme ou le sont un tout petit peu. Au contact avec la foi chrétienne s’est répandu le sens d’un Dieu Tout-puissant et Amour qui pose le problème du mal perçu comme un scandale qui aboutit à la négation de l’existence de Dieu. Ce scandale s’exprime en définitive par ‘’le néant de Dieu’’[1] ou la mort de Dieu. Dans ce sens, nous pouvons nous appuyer sur la formulation de Saint Thomas qu’il réfutera après dans sa démonstration : ‘’ de deux contraires, si l’un est infini, l’autre est totalement aboli. Or quand on prononce le mot Dieu on l’entend d’un bien infini. Donc, si Dieu existait, il n’y aurait pas de mal. Or l’on retrouve le mal dans le monde. Donc Dieu n’existe pas’’. Face à cet énigme, plusieurs questions se posent : Si Dieu existe pourquoi la souffrance de l’innocent ? Peut-on avoir confiance en Dieu dans un monde où des enfants sont torturés, où les catastrophes naturelles rendent la vie impossible ? Pourquoi ces multiples souffrances ? Pourquoi cette injustice ? Pourquoi les bons sont-ils les plus frappés ?  Pourquoi ces guerres, ces misères, ces violences ? Pourquoi existe-t-il quelque chose de si inhumain dans le monde ? Pourquoi cette impuissance manifeste, malgré les efforts de beaucoup et les progrès techniques pour briser ces cercles infernaux où se débat l’humanité ?   Ces mêmes  interrogations sont traduites par le cri du peuple élu que le psalmiste évoque sous diverses formes : Pourquoi, Yahvé, restes-tu loin, te caches-tu au temps de détresse ? (Ps10, 1) Jusques à quand, Yahvé, m’oublieras-tu ? (Ps 13,2) Pourquoi tous, croyants et incroyants, butons-nous sur ce mystère sans jamais trouver de solution et de réponse pour l’expliquer. Comment se fait-il que dans un village, dans un quartier des enfants puissent être à demi-morts de faim, des adultes enfermés dans le désespoir, sans que Dieu ne réagisse ?           

Face à ces interrogations que dire et que faire ? Seul un cri comme celui Job, qui est porté par l’Espérance, et plus encore le mystère d’un Dieu souffrant comme Jésus sur la croix, peuvent nous aider à élucider la question qui se pose. La présence du mal et de la souffrance est il compatible avec l’existence de Dieu ? 

I- Les larmes 

I-1 Que signifient les larmes ? 

Les larmes sont des gouttes de liquide transparent et salé sécrétés par les glandes lacrymales, baignant la conjonctive de l’œil et des paupières. Les larmes s’écoulent de l’œil lors d’une sécrétion abondante et due à ’une irritation chimique ou physique ou encore à une émotion forte. Cette sécrétion abondante s’appelle communément ‘’ les pleurs’’. 

Dans ce travail, notre attention sera tournée vers les larmes causées par une émotion forte : soit la joie et on parle alors de larmes de bonheur et d’espoir, soit une douleur cruelle ou un remord terrible qui entraînent les larmes de sang. Ainsi les larmes sont l’expression d’un chagrin ou d’une affliction. De là naîtra l’expression ‘’vallée de larmes’’ qui signifie que la vie terrestre est période de souffrance. Les souffrances comme la mort, les enfants handicapés, les maladies qui défient toujours les progrès extraordinaires de la recherche médicale, les catastrophes naturelles échappant à la technique et la science, les guerres.   

Nous pouvons donc reformuler notre sujet comme suit : L’existence de Dieu est-elle incompatible avec la souffrance  ou le malheur d’un seul innocent ?  

I-2  Que signifient le mal et la souffrance ? 

Evoquer le sillage de nos vies nous ramène immanquablement au souvenir de nos souffrances. Car le mal et la souffrance sont une évidence que nous expérimentons chaque jour, que nous soyons riche ou pauvre. C’est une évidence que nul ne peut nier. Mal physique ou moral personne n’en est  épargné. La souffrance est l’une des premières expériences de l’enfant. Mal et souffrance accompagnent toute vie jusqu’à la mort, le mal suprême. 

I-2-1 Le mal 

C’est une donnée de l’expérience, c’est une question existentielle. Certains philosophes comme Epicure, Hegel et les mouvements comme le new age pensent que le mal est une illusion de l’esprit. Cette approche échoue devant la réalité des êtres que nous sommes, et qui faisons l’expérience de la douleur dans notre corps et qui luttons afin de préserver la vie. 

En définitive, le mal est une réalité concrète : ‘’c’est un non être qui est’’ comme le dit Platon. Plusieurs penseurs pensent que le mal et le bien n’existent que par rapport à moi et mes actes ; on les réduit ainsi à une conséquence de mes choix et donc de ma liberté. Ainsi la liberté devient la référence ultime du bien et du mal.[2] 

Le mal n’est que la conscience que l’on a d’un manque, celui du bien, car en lui-même, le mal ne possède aucune réalité. Il se définit par rapport au bien, et c’est un manque d’être. 

I-2-2 La souffrance 

Parler de la souffrance nous engage dans une traversée qui n’est pas sans péril, la traversée de nos souvenirs, la traversée de nos vies avec ce qu’elles comportent de travaux, d’emprisonnement, de coups et de risques de morts, d’injustice et de dangers sans nombres, catastrophes naturelles, voles, viols, assassinats. Le labeur et la fatigue, la faim et la soif, le froid et la nudité ont pu nous marquer d’un sceau de la souffrance sans évoquer le souci de la vie quotidienne et notre impuissance à soulager la misère de notre faiblesse qui nous plonge dans l’angoisse. La souffrance, du latin sufferre, évoque quelque chose de pénible que l’on endure, une douleur que l’on porte dans son corps ou encore dans âme. Nous distinguons plusieurs types de souffrance : 

* La souffrance physique : il ne s’agit pas d’une simple douleur corporelle que l’on peut soigner avec des médicaments, mais d’une douleur qui se transforme en souffrance véritable et s’accompagne d’une réaction d’angoisse et de rejet. 

* La souffrance psychique : elle est de trois ordre, le premier est la souffrance dépressive qui enlève le sens de la vie, le second d’ordre affectif est lié à des blessures dans la vie relationnelle et prive de toute force et enfin la souffrance qui donne envie de mourir. Nous retrouvons cette souffrance psychique chez ceux qui sont tentés par le suicide. 

* La souffrance spirituelle est liée à la quête spirituelle des humains qui cherchent à donner un sens à leurs vies, car la vie est une perpétuelle recherche. 

Nous sommes incapables de maîtriser toutes ces perturbations physiques, psychiques et spirituelles qui peuvent conduire au désespoir et à une crise de valeurs.      

I-3 La souffrance et le mal comme un mystère[3] 

Le mal et la souffrance sont un ‘’ mystère’’ irrationnel et scandaleux qui suscitent en nous une réaction légitime de rejet et de révolte. De nombreuses théories ont cherché à donner un sens à ce ‘’mystère’’ mais hélas, elles se sont révélées stériles et dérisoires face à la souffrance vécue concrètement. Mal et souffrance sont injustifiables et inexplicables. 

Au fil des temps le silence face à la question de la souffrance et du mal a fait naître l’idée de la négation de Dieu. Cette idée est née avec l’avènement de la modernité qui prône la domination de l’homme sur la nature. 

II – Incompatibilité du mal avec l’existence de Dieu 

Pour pouvoir donner une réponse susceptible d’apporter une lumière à notre problème, il s’avère nécessaire de connaître ce que l’on entend par Dieu. Selon une certaine conception, Dieu existe et il est tout puissant et bon. Il a donc le pouvoir de détruire le mal. De même, s’il est bon, il doit chercher à détruire le mal. Or le mal a existé et continue d’exister, donc Dieu n’existe pas. Le problème posé ainsi montre l’inconsistance logique de l’existence de Dieu. 

II-1 Le mal comme une absence de Dieu 

De ce qui précède, nous avons conclu que dieu n’est pas. Il s’agit d’une conscience populaire qui juge que s’il y avait un ‘’Bon Dieu’’, il n’y aurait ni la souffrance ni la mort. Saint Thomas dira à ce propos ‘’ Si Dieu existait, nulle part on ne trouverait le mal, or le mal existe donc Dieu n’existe.’’[4] 

Ici, Dieu est infiniment Bon et tout puissant. Il est Bon donc, il ne doit pas autoriser le mal, il est tout puissant il est donc en mesure de l’empêcher. Ainsi la réalité du mal et de Dieu semble être incompatible. Le ciel serait vide, voilà qui explique la souffrance humaine et particulièrement le cri de l’innocent dans son angoisse.      

II-2 La présence du mal comme refus de Dieu 

Au-delà du simple fait de l’existence de Dieu, il peut être accusé d’être à l’origine du mal et de la mort. 

Dans l’Homme révolté[5], Albert Camus dénonce en Dieu le criminel, le père du mal et de la mort. Dans la ‘’peste[6]’’ qui est une longue méditation sur le mal et la souffrance, il dresse un réquisitoire contre une création où les innocents souffrent et meurent. Devant le cadavre de l’enfant de Othon, il fait dire à Rieux : ‘’je refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette création où les enfants sont torturés’’[7]

C’est aussi devant le cadavre d’un enfant au gibet des pendus, dans un camp de concentration qu’une jeune israélite Elie Wiesel a crié sa révolte  contre le Dieu de ses pères pendant que ses frères trouvent encore la force de prier Dieu en ces termes ‘’ Béni sois le nom de l’Eternel’’, de là naît son interrogation : ‘’Pourquoi, mais pourquoi le bénirais-je ?[8] Cette interrogation venait de ce que tout son être s’était révolté à la vue de tous ces enfants brûlés dans les fours. Pour elle, Dieu est celui qui fait fonctionner les fours crématoires jour et nuit et même le jour du sabbat. Qui a créé tant d’usines de mort ? Elle poursuit son objection en se demandant comment bénir Dieu qui a choisi les juifs parmi tous les peuples pour qu’ils soient torturés ?   

Malgré toutes ces objections contre Dieu, nous sommes incapables de soutenir pendant longtemps l’idée d’une accusation contre Dieu dans le problème que suscite le mal et la souffrance, mais l’on peut faire l’expérience de son absence ou mieux encore de son silence. Ces questions posées par Albert Camus et Elie Wiesel viennent de leur expérience de l’absence et du silence de Dieu dans la souffrance de l’homme, mais peut-on en déduire que Dieu n’existe pas ? 

II-3 La foi en Dieu comme un aspect du mal humain 

Un autre aspect du refus de Dieu, c’est qu’il y a le mal dans l’existence et l’histoire de l’humanité et l’on doit éviter de considérer  Dieu comme solution à l’énigme du mal. Très souvent c’est ce qui est l’illusion de plusieurs. En réalité prendre Dieu comme Solution ne ferait qu’augmenter son angoisse. Car Dieu n’est pas une réalité, il n’est qu’une projection humaine et une aliénation, nous dit Feuerbach[9].     

Pour Albert Camus, le refuge dans la foi devant le mal n’est qu’une évasion, une solution trop facile devant le drame de la race humaine. Pour lui l’homme est invité à lutter de façon raisonnable et de toutes ses forces pour limiter les dégâts, car le mal est une absurdité évidente pour le cœur et pour la raison. 

Pour Jean Paul Sartre, le recours à Dieu n’est qu’une lâcheté de celui qui n’a pas le courage d’assumer sa responsabilité qui est une source d’angoisse. Assumer sa responsabilité c’est être libre et n’avoir pour norme que soi même. 

Karl Marx, de son coté est très clair. Pour lui, le mal est vécu dans l’affrontement à la matière et l’homme triomphe par le travail. Le mal se retrouve dans la société, la guerre de l’homme contre l’homme à cause de l’aliénation économique. Ainsi, le travailleur est volé au profit des biens de productions et tous les essais de libération par l’action de la religion ou de l’Etat sont inefficaces et ne font qu’augmenter la souffrance des ouvriers. La foi en Dieu brise donc tout élan révolutionnaire au profit d’un bonheur futur et poursuit par conséquent son aliénation. 

II-4 La question du mal pose celle de Dieu  

L’objection du mal face à la bonté de Dieu porte donc autant sur la question du mal que sur celle de Dieu. Or le mal comme Dieu ne sont pas seulement des problèmes pour la raison, ils sont des mystères pour l’intelligence, non des secrets impénétrables. Ce n’est pas parce que l’esprit ne peut plus fournir de « raisons » que l’intelligence ne peut plus avancer de lumières en lumières. C’est pourquoi pour tenter de comprendre ce qu’est le mal, c’est-à-dire le péché, le Catéchisme de l’Eglise catholique suggère de « reconnaître le lien profond de l’homme avec Dieu, car en dehors de ce rapport, le mal du péché n’est pas démasqué dans sa véritable identité de refus et d’opposition face à Dieu, tout en continuant à peser  sur la vie de l’homme et sur l’histoire »[10]. « C’est seulement dans la connaissance du dessein de Dieu sur l’homme que l’on comprend que le péché (mal) est un abus de la liberté que Dieu donne aux personnes crées  pour qu’elles puissent L’aimer et s’aimer mutuellement. »[11] 

III- Dieu et la souffrance de l’innocent 

Avant toute considération, il nous revient également de nous interroger sur la consistance de l’idée de Dieu. Comme posé ci-dessus ici nous allons nier la seconde prémice on a  donc: 

Dieu existe et il est bon et non tout puissant, donc dans sa bonté il cherche à détruire le mal mais il en est incapable. Le problème posé comme ceci ne montre aucune incompatibilité entre Dieu et l’existence du mal comme nous l’avons posé logiquement dans la deuxième partie de notre travail. 

Le problème qui se pose ici est de savoir si l’existence des faits tels que la souffrance sont des arguments qui rendent déraisonnable la croyance en l’existence de Dieu. Le problème est parfois vu comme un mouvement de protestation face aux innombrables violences d’origine naturelle ou humaine qui frappent sans raison apparente les innocents. 

Le livre de Job dans
la Bible ne donne pas une réponse autre que celle-ci : il ne faut pas chercher une explication au mal et à la souffrance, il faut toujours faire confiance en Dieu et s’abandonner à son amour.
La Bible à travers l’Evangile selon Saint Jean, nous montre que Jésus fils de Dieu, a souffert et c’est lui qui, pour les Chrétiens donne un sens à la souffrance. Pour l’incroyant, Jésus ne donne aucune réponse et aucune explication  raisonnable au problème de la souffrance, car il porte, à travers sa mort, le problème du mal et de la souffrance de l’innocent à un scandale absolu qui n’épargne pas le fils de Dieu. La mort de Jésus est perçue comme une défaite du bien devant le mal. Or l’hymne aux Phillipiens nous enseigne qu’à travers son obéissance et sa mort Jésus a vaincu la mort et toute sorte de souffrances. Voilà pourquoi Dieu l’a doté d’un nom suprême devant lequel tout genou fléchit et toute langue confesse que Christ est Seigneur.   Est-ce à dire que l’on doit obéir et subir la souffrance sans aucune réaction ?   

III-1 Comment concilier l’existence du mal et de Dieu sans rendre Dieu responsable de ce mystère ? 

Une telle conciliation a été ébauchée chez  Leibniz. D’après lui, le mal, la souffrance et la mort existent parce que Dieu ne pouvait pas créer un monde parfait c’est-à-dire un autre dieu. En effet la perfection du monde ferait du monde un Dieu et cela serait une contradiction. Or  toute création présente des limites et des défauts. Ainsi le mal et la souffrance apparaissent comme la limite de la création divine. Pour Leibniz, Dieu est un véritable stratège et, s’il a voulu notre monde, c’est parce, que dans sa bonté, il a pensé que cela est le meilleur des mondes possible pour nous, et, par conséquent, l’ordre le plus parfait entre les possibles. Faut-il entendre par là qu’il ne se préoccupe pas de la souffrance et du malheur de ses créatures ? Non, dans le récit de la genèse, la création est confiée à l’homme qui devait, à travers sa liberté et sa collaboration, conduire la création à son achèvement. Ainsi faudrait-il penser la question du mal et de la souffrance avec l’idée de la responsabilité et de la participation de l’homme à l’établissement d’un ordre bon et d’une harmonisation de l’univers. L’argumentation de Leibniz s’achève par l’affirmation  de l’innocence de Dieu en matière de mal. Paradoxalement, l’objection  du mal et de la souffrance contre l’existence de Dieu repose autant sur la réaction face au scandale de la souffrance que sur le besoin d’innocenter le « Bon » (Dieu), du mal qu’il laisserait commettre où qu’il « permettrait ». Ceux qui soutiennent cette objection ne discutent pas que Dieu est bon, parfait, qu’il soit « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6). Ils ne mettent pas,  non plus, en doute que Dieu puisse être l’auteur de toutes choses. Ils n’en font pas une sorte de démiurge qui chercherait à vaincre le chaos initial. Pour eux, Dieu est bon, parfait, tout puissant, ces œuvrent doivent l’être aussi ; Dieu s’il existe, ne peut engendrer, ni même tolérer, le mal, la souffrance et la mort. Or, comme le mal existe, Dieu n’existe pas. Refuser de croire en Dieu en raison de l’existence du mal, revient donc à innocenter Dieu du mal dont on le juge incapable en raison de sa bonté ! 

III-2 Ni la souffrance ni le mal ne sont voulus par Dieu 

La fin de l’homme voulue par Dieu, c’est le bonheur. Le mal, quelqu’en soit sa nature, n’est pas voulu par Dieu. Avant le concile Vatican II, plusieurs pensaient que le mal était voulu par Dieu pour le bien de l’homme, mais cette approche est contraire à la vocation humaine qui est le bonheur. C’est cette vocation qui le pousse à se révolter contre la souffrance et le mal et surtout à lutter contre ce scandale dans l’existence humaine. 

S’il est donc impossible d’affirmer que Dieu provoque la souffrance, le mystère reste dans la mesure où Dieu semble être impuissant devant le mal et que lui-même à travers son fils Jésus, subit la souffrance. Cette impuissance est celle du Dieu présenté par la foi chrétienne : un Dieu bon et tout-puissant qui se montre impuissant devant la souffrance et le mal. C’est cette impuissance qui se traduit à travers les deux célèbres œuvres de François Varillon l’ « humilité de Dieu »[12]  et « la souffrance de Dieu »[13] devant le scandale que vit sa création. On peut comprendre un mal s’il est issu des hommes, mais qu’en est il du mal existentiel c’est-à-dire la maladie et la mort ? Certes l’on pourra répondre que cela est inhérent à notre condition humaine. Mais pourquoi Dieu n’a-t-il pas construit le monde incorruptible et non destructible afin que les hommes puissent vivre sans aucune crainte, leur vocation première qui est le bonheur. Aucune réponse objective n’est donnée à cette question, nous nous retrouvons encore devant une énigme. Mais de ceci le chrétien retrouve une solidarité de Dieu avec l’homme dans la souffrance.     

III-3 La foi en Dieu comme une solution à la question du mal 

Si Feuerbach objecte que Dieu n’est qu’une invention humaine. Il est donc une fausse solution à la question du mal, parce que l’homme perd sa force de lutte. Il n’est qu’une évasion et une lâcheté devant la question du mal. Dans son expérience du mal, l’homme pense t-il à Dieu ? Pour les chrétiens, la mort et la vie du Christ Jésus ne sont ni un rêve ni une imagination. C’est un acte d’espérance du nouveau monde ou le mal sera détruit par le pouvoir glorieux du Christ. 

Pour beaucoup, cette résignation du croyant est perçue comme ‘’ l’opium religieux’’[14]. Mais cette attitude est combattue par la foi elle-même. Nous avons certes appris que le Christ est parti nous préparer une demeure où règnent la justice et la paix, mais loin de nous résigner, l’attente de cette terre, doit nous conduire à la culture de cette terre[15] . Par leur action, les chrétiens doivent être des signes de l’amour de Dieu pour le monde et donc chaque homme en particulier. Il est regrettable que les chrétiens ne rendent pas ce témoigne dans le quotidien. 

IV- Quel est le dieu qui est remis en cause devant la question du mal et de la souffrance ? 

Si Dieu est innocent devant la question du mal et que lui-même souffre avec le malheureux et l’innocent, quel est donc ce dieu qui est remis en cause ? Dans leur quête de Dieu, les hommes se font plusieurs représentations de ce dernier. Ainsi nous pourrons affirmer que dans la révolte de l’homme face à la souffrance la négation de dieu s’adresse à ces dieux que nous pouvons qualifier d’idoles. 

Si les remarques des athées n’atteignent pas la foi chrétienne, elles doivent  éveiller la conscience des croyants dans leur recherche de Dieu, surtout le sens le plus juste de Dieu et le sens le plus juste de l’homme. Ainsi l’objection construite à partir du principe du mal n’est pas la conclusion d’une activité intellectuelle, elle constitue au contraire un principe de base pour l’existence. Une telle attitude  suscite la question suivante : comment, les hommes refusent ils Dieu, en sincérité ?  

Le refus des hommes, c’est une manière objective d’affirmer leur liberté. Cette affirmation n’est pas sans conséquence car elle a des répercutions même sur la foi. Cette liberté de choix aboutit au refus de Dieu, comme celui du désir de l’homme dans l’histoire de
la Genèse (Adam et Eve et le fruit défendu). 

V- Quelle attitude adopter devant la souffrance ? 

Le mal étant une question existentielle, quelle attitude adopter en face d’elle ? Quelle attitude avoir en face du cri d’angoisse d’une mère qui pleure la mort de son enfant, ou encore devant la plainte des innocents ? Certains psaumes montrent un innocent malheureux pendant que le malfaiteur est dans l’abondance. Que penser de cela ? 

La croyance en Dieu, si ce n’est pas Dieu qui est rejeté et s’il est lui-même solidaire avec l’homme dans la souffrance engage l’homme à œuvrer à l’éradication de la souffrance du monde, car sa vocation, c’est le bonheur. Il serait dangereux de donner Dieu comme une explication du mal des hommes en disant : ‘’ c’est la volonté de Dieu’’. Non, Dieu ne veut en aucune façon le malheur d’un homme. Si la vocation de l’homme est le bonheur, il faut que nous prenions en main notre existence. Il faut ouvrir une lutte contre le mal sous toutes ses formes. Mais en partant pour ce combat, nous devons avoir toujours au devant de nous le sens le plus profond de Dieu et de l’homme.          

 

Conclusion                                                                                                                                             

A la fin de notre analyse, il convient de noter que le mal et la souffrance sont une question existentielle et évoquer la question du mal, c’est implicitement poser la question de son origine, c’est aussi établir une relation entre Dieu et le mal. Si Dieu est bon et tout puissant pourquoi permet-il le mal dans le monde ? Ainsi c’est l’existence de Dieu qui est remise en cause. Certes le mal existe dans le monde, mais cela ne nous empêche pas de croire en Dieu. C’est ce qui nous a conduits à porter notre réflexion sur le Dieu qui est remis en cause devant le mal que vivent les hommes. Nous avons abouti à l’idée selon laquelle ce n’est pas le Dieu de la révélation qui est objecté, mais au contraire des fausses idées que l’on s’est fait de Dieu et les idoles que l’homme s’est construit dans sa recherche de Dieu et du juste. Face à ceci, nous invitons les croyants et les personnes de bonne volonté à s’inspirer de ces objections pour donner le sens le plus juste de Dieu et de l’homme. Il serait important d’ouvrir une lutte contre le mal sous toutes ses formes et d’éviter de donner Dieu comme solution à la question du mal comme nous l’enseigne le Catéchisme de l’Eglise Catholique : Jésus nous prépare une demeure où le mal n’existera pas. Mais avant la réalisation de ce monde, il convient de nous battre pour construire un monde plus juste où règne la paix, car la vocation première de l’homme c’est le bonheur. Baisser les bras devant une question existentielle telle que le mal et la souffrance ne serait qu’une évasion ou, pire encore, une fuite lâche de responsabilité. 

En définitive, il convient de dire que la question du mal n’est pas une pure activité intellectuelle ou un problème logiquement posé comme l’ont fait certains, conduisant ainsi à un choix entre Dieu et le mal. Un tel choix implique indirectement la question de la liberté de l’homme. Le problème est posé logiquement comme suit : Si Dieu est bon et tout puissant, il ne doit pas permettre le mal et doit chercher à le détruire, or le mal existe donc Dieu n’existe pas. Si on pose le problème ainsi il suffit de nier l’une des prémices pour invalider la conclusion, sinon, nous rejetons tout le problème du mal sur Dieu. A la fin de notre exercice il convient de penser le problème avec l’idée de la liberté de l’homme et de sa responsabilité à l’égard du reste de la création qu’il doit conduire à son achèvement.     

 

 

 

 

 

Bibliographie 

&   Albert CAMUS, l‘homme révolté, Gallimard, Paris, 1951, 382p 

&   Albert CAMUS, la peste, Gallimard, Paris, 1947, 382p   

&   Dominique MORIN, pour dire Dieu, cerf, Paris, 1989, 165p 

&   Dominique MORIN, Dieu existe-t-il ?, collection fêtes et saisons, cerf, Novalis, 1993, 62p 

&   Etienne BORNE, le problème du mal, P.U.F, Paris, 1960, 117p 

&   François VARILLON, la souffrance de Dieu, centurion, Paris, 1975 

&   François VARILLON, l’humilité de Dieu, centurion, Paris, 1974 

&   LEIBNIZ, Essais de théodicée

&   Henri BERGSON, « le problème du mal » in les deux sources de la morale et de la religion, 

&   Luc FERRY, l’homme Dieu ou le sens de la vie 

&   Pierre CROZON, interrogation sur l’existence humaine : dialogue de l’athéisme et de la foi, ouvrières, Paris, 1973, 206p 

&   Pierre MASSET, Comment croire ? La foi et la philosophie moderne, centurion, Paris, 1973, 309p. 

&   Platon, République, livres II et X, 

&   « Le livre de Job » in
La Bible de Jérusalem, Cerf, 3ème édition, Rome, 2001 

&   Catéchisme de l’Eglise Ctholique, 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sommaire 

Introduction. 1 

I- Les larmes. 2 

I-1 Que signifient les larmes ?. 2 

I-2  Que signifie mal et souffrance ?. 2 

I-2-1 Le mal 2 

I-2-2 La souffrance. 3 

I-3 La souffrance et le mal comme un mystère. 3 

II – Incompatibilité du mal avec l’existence de Dieu. 4 

II-1 Le mal comme une absence de Dieu. 4 

II-2 La présence du mal comme refus de Dieu. 4 

II-3 La foi en Dieu comme un aspect du mal humain. 5 

II-4 La question du mal pose celle de Dieu. 6 

III- Dieu et la souffrance de l’innocent 6 

III-1 Comment concilier l’existence du mal et de Dieu sans rendre Dieu responsable de ce mystère ?. 7 

III-2 Ni la souffrance ni le mal ne sont voulus par Dieu. 8 

III-3 La foi en Dieu comme une solution à la question du mal 8 

IV- Quel est le Dieu qui est remis en cause devant la question du mal et de la souffrance ?  9 

V- Quelle attitude adopter devant la souffrance ?. 9 

Conclusion. 10 

Bibliographie. 11 

Sommaire. 12 



[1] Etienne Borne, le problème du mal, P.U.F, Paris, 1960, P. 104

[2] Inspiré de Dominique Morin, pour dire Dieu, édition du cerf, Paris, 1989, p. 126 

[3] Idem Pp. 123-125

[4] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, première partie, question 2, article 3

[5] Albert Camus, l’homme révolté, Gallimard, 159ème, France, 1958, 382p 

[6] Albert Camus, la peste, Gallimard, 8ème édition, France, 1947, 332p

[7] Pour l’auteur de l’homme révolté, remarque E. Borne, affirmer Dieu, ce serait prononcer l’amen de bénédiction en face d’un monde injuste où le mal et le malheur se superposent et s’entrecroisent. « Source et cheminement de l’athéisme », dans le recueil l’Athéisme tentation du monde, réveil des chrétiens ? P. 117

[8] Elie Wiesel, la nuit, Edition de minuit, 1968, Pp. 108-110

[9] Guy Agbossaga, cours de théodicée, Maison Lavigerie 2009-2010 p. 17

[10] Catéchisme de l’Eglise Catholique numéro 386

[11] Catéchisme de l’Eglise Catholique numéro 387

 

[12] F. Varillon, l’humilité de Dieu, centurion, Paris, 1974

[13] Id, la souffrance de Dieu, centurion, Paris, 1975

[14] En référence à Karl Marx, qui présente le religieux et la religion comme des endormeurs de conscience

[15] Inspiré de Gaudium spes, n°39 paragraphe 2

 

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